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Critique de maevedefrance


Devinez où j'étais ces quinze derniers jours ? Très souvent entre le comté de Mayo, Dublin, le Wexford, l'Espagne, le Maroc, Londres et le Kenya avec… Eva.

Dans la famille Goold Verschoyle, je voudrais la fille cadette ! Mais oui, souvenez-vous de Toute la famille sur la jetée du Paradis dont je vous ai parlé en 2012 je crois. C'est avec cette incroyable fresque historique, sociale et familiale que j'ai fait la connaissance de Dermot Bolger, au fin fond du comté de Donegal. C'est avec plaisir tout à fait certain que j'ai retrouvé cette « suite » (même si Dermot Bolger se défend d'avoir écrit une suite et revendique plutôt un portrait de la fille cadette de la famille). N'empêche, on l'avait laissé mariér malgré son esprit libre, mère de 3 enfants, embringuée avec un certain Freddie Fitzgerald dont elle porte désormais le nom. le bonhomme est à peu près tout le contraire d'Eva. Elle ne sait pas vraiment pourquoi elle est « rentrée dans le moule » de la société bien bien-pensante de l'époque en épousant cet aristocrate éculé. Les temps changent en Irlande, mais pas Freddie ! Nous la retrouvons en 1949, en train de faire ses valises à la quasi-veille de son demi-siècle. Les enfants sont élevés, adultes. Elle peut désormais tenir la promesse faite à sa mère celle du droit au bonheur. Ce quu ne veut pas dire délaisser ses enfants. Francis aura tant besoin d'elle ; Hazel est tellement « tout feu, tou flamme ». Mais remettons tout ça dans le contexte de l'époque : en Irlande, le divorce n'existe pas, une femme est mineure à vie, dépendante de son époux jusque pour avoir un passeport. Bon, c'était kif-kif en France… Eva quitte donc Freddie. Ce n'est pas si facile dans son esprit le moment venu, où elle le regarde dormir dans la même pièce qu'elle. Malgré leurs disputes, elle n'a pas de haine pour lui, juste de la colère, des reproches, mais aussi de l'affection, toujours. C'était juste pas le bon numéro, celui tiré par dépit amoureux. Lui, finit par se réveiller et n'est pas surpris de la voir le quitter. Il lui dit qu'il va s'atteler « à fermer [Glanmire House] correctement, sinon les Gitans entreront et emporteront tout » . Ce manoir transformé en maison de chasse est la seule chose qu'il reste à Freddie, le parent pauvre du clan Fitzgerald qui détient le gigantesque et somptueux Turlough Park. Il est alcoolique, il a un pied bot, il est dans le dénigrement de la société irlandaise qui change en ces années 50.

Nous allons suivre Eva jusqu'à l'an 2000. Une traversée du demi-siècle qu'il lui reste à vivre, comme femme libre, qui se cherche une place dans la société, qui s'interroge sur le rôle d'une femme délivré e des liens du mariage, qui interroge la notion de bonheur. Eva est une rêveuse qui souhaite réaliser ses rêves. Elle va comprendre que la réalité est parfois rude. Elle va se relever inlassablement de chaque coup dure, rebondir et repartir sur de nouvelles voies. Artiste peintre, elle veut libérer l'imagination des enfants grâce à la peinture dans cette société irlandaise corsetée. Puis elle se cherche dans l'écriture. Mais c'est difficile pour une femme à l'esprit aussi libre qu'elle de se faire accepter par les éditeurs. Finalement, elle va se créer un univers bien à elle, dans une caravane surnommée L'Arche de lumière par sa petite-fille. Elle va être un âme réconfortante pour les gens un peu paumé dans la vie, pour les âmes esseulées quelles qu'elles soient, humaine ou animale. Ceux qui ne savent pas trop comment se trouver, se sentir bien dans une société pas toujours simple. Un jour, elle rencontre un certain Donal, jeune chômeur d'une vingtaine d'années qui voudrait être écrivain… Devinez qui c'est ! 😉

Pour ceux qui l'ignorent, et c'est ce que rappelle Dermot Bolger dans la postface de l'ouvrage, c'est qu'il s'est inspiré d'une histoire vraie. Eva a été inspirée par Sheila. Toute la famille a existé. Les noms ont été changés pour tout un tas de raison, notamment le fait que c'est tout de même bien difficile de savoir qui est exactement quelqu'un (on ne sera jamais dans son esprit), tout comme il est difficile de se connaître complètement soi-même. Sheila a finalement été le mentor de Dermot Bolger, celle qui lui a donné la force de réussir dans son projet alors qu'il était ouvrier et chômeur. Bon, mais tout ça est la dimension supplémentaire du récit que l'on apprend à la fin.

J'ai mis 2 semaines à lire ce livre, à traverser un demi-siècle en compagnie d'Eva. Il se passe tellement de choses dans sa vie si riche, mais aussi très tragique. On ne s'ennuie pas, c'est incroyablement raconté, avec, par instants, un sens du suspense qui vous assomme ! On se prend, à l'instar d'Eva, quelques coups durs ! Ses sentiments sont ainsi parfaitement bien retranscrits, sans que l'on tombe dans le larmoyant, parce que, même quand elle est dans des moments d'abattement profond, il y a toujours une petite lumière au fond d'elle qui reprend le dessus et la vie reprend. C'était génial de vivre dans cette caravane trimbalée du Mayo au Wexford, jusqu'au dernier moment où cela fût possible. J'ai quitté à regret Johnny le chien, et tous les chats qu'elle a hébergés. En revanche, j'ai eu quelques surprises avec la traduction quand j'ai lu le mot « Gitan » à plusieurs reprises. J'ai eu le pressentiment que le mot employé n'était pas tout à fait exact. Je voyais poindre le mot « tinker » dans la version originale. Et bingo, c'était bien ce mot qu'a employé Dermot Bolger (donc pas le mot « gypsy » ou « travellers ». Il n'y a pas de Gitans en Irlande dans les années 50-60, encore moins au fin fond du Mayo. Il y a des retameurs, des ferrailleurs nomades qui vendent leurs services. Ils sont spécialistes du travail des métaux. Rafistolent les outils agricoles, fabriquent des boites de conserves… Ce sont des Irlandais, avec des bouilles qui vont avec, si je puis dire. J'ai lu (en diagonal) un livre sur le sujet, écrit des universitaires américains : Irish Travellers, the unsettled life, de Sharon Bohon Gmekch et George Gmelch, Indiana University Press, 2014, qui raconte entre autres, l'origine sémantique du mot « tinker« , liée aux métaux et l'évolution de leur vie. Ils ont été très discriminés quand ils ont commencé à chercher du travail en ville, dans les années 70 et c'est devenu un mot péjoratif. En tout cas, bien que la communauté des gens du voyage irlandais soit complexe, ce ne sont pas des Gitans – et pas des Roms non plus, même si de nos jours, vous pouvez croiser des Roms à Dublin.

Dermot Bolger a mis une dizaine d'années pour écrire ce roman envoûtant. Alors je lui pardonne quelques répétitions.

C'est un incroyable voyage dans le temps et l'histoire de l'Irlande que je vous invite à faire, sur les pas d'une femme hors normes très attachante. J'ai beaucoup aimé et je pense que c'est un livre dont on se souvient longtemps, comme Toute la famille sur la jetée du Paradis.
Lien : http://milleetunelecturesdem..
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