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Critique de Cigale17


Le dernier roman de Christophe Boltanski, le Guetteur, est construit à deux voix qui n'en forment pourtant qu'une seule… J'ai eu beaucoup de mal à dissocier le narrateur à la première personne de l'auteur ; à la fin du troisième chapitre, je suis allée vérifier que le mot « roman » figurait bien sur la couverture. La citation de Baudelaire en épigraphe donne la clé : « […] avec presque rien, j'ai refait l'histoire de cette femme, ou plutôt sa légende, et quelquefois, je me la raconte à moi-même en pleurant ». Il n'en reste pas moins que dans deux entrevues (sur YouTube), Christophe Boltanski dit « ma mère » en parlant de cette autofiction.
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À la mort de leur mère, Françoise, le narrateur et sa soeur vident l'appartement qui va être vendu. Dans un incroyable bric-à-brac paradoxalement assez ordonné, ils trouvent une chemise en plastique bleu étiquetée « Dossier Polar » dans laquelle le fils découvrira cinq textes, tous des débuts de romans policiers, dont un, plus travaillé que les autres, est intitulé « La Nuit du guetteur ». Il trouve aussi beaucoup de cahiers dans lesquels sa mère notait son quotidien sous forme de notes et d'abréviations qui laissent supposer un certain déséquilibre mental, et il décide d'en sauver une dizaine. C'est à partir de ces documents divers et parfois antinomiques que le narrateur va devenir le guetteur de sa mère.
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Dans les chapitres impairs, le narrateur à la première personne des premières phrases s'efface très rapidement pour devenir le maître d'oeuvre des événements censés se dérouler devant lui. Il prétend regarder vivre une jeune femme qui « paraît vouloir imiter une chanteuse yé-yé […] dont elle partage le prénom » (p. 11), mais dont le pseudonyme est Sophie. Elle évolue dans un groupe de jeunes intellectuels qui ont pris fait et cause pour l'indépendance algérienne, le degré d'implication des membres étant très variable. C'est la femme d'avant, celle que le narrateur ne connaît pas et qu'il tente d'inventer devant nous.
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Les chapitres pairs portent tous en exergue une phrase que l'on suppose tirée de « La Nuit du guetteur ». le narrateur à la première personne est bien présent et il va nous raconter sa mère, la femme qu'il connaît, mais aussi celle qu'il découvre : ce qu'elle lisait, les métiers qu'elle avait exercés, comment elle vivant, ce qu'elle faisait, ou plutôt, ce qu'elle avait fait avant de vivre en quasi recluse dans un appartement envahi par les ordures et les déjections canines : « Chips avait transformé son trois pièces meublé avec goût […] en vastes latrines » (p. 61)…
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Je ne suis décidément pas amatrice d'autofiction, c'est sans doute pourquoi je ne peux qu'émettre un avis mitigé sur ce roman. J'en ai aimé la construction originale qui joue sur la fiction et sur la réalité en nous faisant croire que les deux parties sont étanches. J'en ai aimé l'écriture précise, parfois froide, parfois brièvement empathique. Mais comme toujours avec l'autofiction, j'ai l'impression de commettre une transgression quelconque. Que je découvre derrière le narrateur l'enfant qui s'est senti mal aimé : « […] femme discrète, sur le qui-vive, mère aimante à sa manière, mais fermée à l'enfant que j'avais été. Elle fuyait la transparence et n'entrouvrait sa coquille que pour filtrer l'eau et capter sa nourriture » (p. 63) ou que je perçoive la culpabilité du fils : « Je m'étais contenté d'espacer nos rencontres. Je pouvais laisser passer des semaines, parfois des mois avant de l'appeler. Je savais que, de son côté, elle ne bougerait pas. […] Je faisais le mort. Elle était en train de mourir. » (p. 54), je me sens conviée à une forme de voyeurisme et je n'apprécie décidément pas l'invitation...
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