Citations sur Agathe (72)
Était-ce vraiment possible que tous les êtres humains aillent aussi mal, ou bien ne voyais-je que les malheureux ? Existait-il des gens dans leurs petits foyers qui allaient se coucher satisfaits et savaient pourquoi se lever le lendemain ?
Même si je faisais tout pour l’ignorer, il était difficile de passer outre : mon angoisse augmentait. Il m’arrivait de plus en plus souvent de me réveiller le cœur battant, avec le sentiment d’avoir la mort sur les talons et cela déteignait bien entendu sur mon travail.
Je crois que la vie consiste en une longue série de choix que nous sommes obligés de faire. Et ce n’est que lorsque nous refusons de prendre sur nous cette responsabilité que tout devient indifférent.
Imaginons un instant que la vie hors les murs se révèle aussi futile qu’à l’intérieur ; c’était tout à fait une possibilité. Combien de fois n’avais-je pas écouté les complaintes de mes patients et été heureux que leur vie ne soit pas la mienne ? Combien de fois n’avais-je pas froncé le nez sur leurs routines ou ne m’étais-je pas amusé en douce de leurs soucis ridicules ? Je réalisai que j’avais nourri l’idée que la vraie vie, la récompense de tout ce labeur, m’attendait quand je prendrais ma retraite. Mais assis là, j’étais fichtrement incapable de voir ce que cette vie contiendrait qui vaudrait la peine de s’en réjouir.
La rue semblait plus inclinée qu’à peine cinq ans auparavant. Ce sont de telles choses qu’on ne découvre qu’en vieillissant : les trottoirs sont irréguliers, les pavés, de travers, et l’on aurait dû accorder plus de prix à ses jambes du temps où elles fonctionnaient.
Son nom sonnait différemment en allemand et je me demandai si cela l’affectait peut-être de l’entendre toujours mal prononcé. Agathe ; je fus tenté de le dire à haute voix, exactement comme elle l’avait prononcé, mais j’en ravalai l’envie.
— Ça signifie quelque chose comme « la pomme de mes yeux », expliqua-t-elle.
— Ou la prunelle de mes yeux, peut-être, proposai-je.
Mon père était aveugle. Il était si habile de ses mains qu’il était capable de réparer des montres et faire fonctionner divers objets, même s’il n’avait jamais vu à quoi ils ressemblaient. Il avait un petit atelier et les gens lui apportaient des appareils qui étaient tombés en panne et lui décrivaient comment ils étaient et ce qu’ils étaient censés faire. Alors il s’installait devant ses bols et ses boîtes contenant les pièces détachées et, en fonction de la complexité de la réparation, ça lui prenait des jours ou des semaines. À la fin, ça marchait à la perfection.
Il est bien connu que, dans des périodes de grand chagrin comme celui qui vous frappe maintenant, on peut régresser à des stades antérieurs, commençai-je, et je sentis que je parlais de plus en plus vite. Peut-être vivrez-vous une colère plus grande que d’habitude, ou perdrez-vous pour un temps l’intérêt pour vos occupations quotidiennes. C’est tout à fait naturel et vous ne devez pas en avoir peur. Cela passe.
Une des pires choses dans mon métier était de parler avec des personnes ayant perdu un proche. Je préférais de loin un état grave d’angoisse ou les suites d’une enfance désagréable ; les décès, il n’y avait rien à y faire, et je ne savais jamais comment me comporter avec des patients dans le chagrin.
Je me sens comme un traître qui, à chaque instant, peut être dévoilé. La question est seulement par qui et quand. Alors je reste au lit chez moi, et soudain une semaine entière est passée.