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Critique de Tempsdelecture


Il est de ces titres qui semblent être plein de promesses à offrir, celui-là en fait partie. En septembre, les éditions Plon proposent ce tonitruant roman, un savant mélange d'histoire et musique, de fiction et de réalité, personnages authentiques et d'autres inventés, l'horreur comme la beauté absolues, le pire comme le meilleur. Si dans le saut d'Aaron, Magdalena Platzova emmenait l'Art au sein des camps, c'est la musique ici qui fait son chemin jusque dans les chambres de l'enfer de Birkenau.

Si le compositeur et chef d'orchestre allemand Wilhelm Wagner est très malheureusement connu pour avoir été la figure de proue du IIIe Reich, l'antisémitisme dont il a pu faire preuve, ayant probablement facilité la récupération du régime, il ne faut oublier Bruckner et Beethoven, ou bien encore Wilhelm Furtwängler, qui dirigea l'orchestre philharmonique de Berlin, l'un des plus prestigieux orchestres du monde. Wilhelm Furtwängler a quant à lui été jugé après-guerre lors d'un procès de dénazification, a été innocenté mais sa collaboration passive lui est toujours resté collé à la peau - justement ou injustement, d'autres furent dans une meilleure position que moi pour le juger. Pourtant Wilhelm Furtwängler, l'homme qui dirige ce roman-orchestre, tient lui-même la place clef des Opéras dans lesquels il officia, lui le chef d'orchestre, consacré, admiré, adulé par les siens, par Hitler, puis relégué avec la lie de l'humanité. Xavier-Marie Bonnot explore la figure de cette figure incontournable en matière de musique classique occidentale par le biais d'une fiction dont on ne saurait se détacher avant d'en connaître la toute fin.

Du côté de la fiction, Rodolphe Meister, le chef d'orchestre en devenir, et sa mère la cantatrice, contribuent à entretenir le mythe Furtwängler, et comprendre la dimension inégalée de cet homme, musicien qui créé, joue et fait retentir la musique à un point jamais atteint avant lui, ce rapport presque transcendantal qu'il entretient avec sa muse. La figure de la mère qui chantât sous sa direction et du fils qui s'engage dans la même voix que ce lointain mentor s'inscrivent en contradiction avec le chef d'orchestre, dans la mesure où ils fuirent l'Allemagne nazie. Cette décision permet de comprendre la gravité du choix qui fut le sien, celui de conserver sa place au Philharmonique de Berlin, quitte à en payer chèrement le prix, après coup. Là ou la réalité s'arrête, la fiction continue, Rodolphe se pose dans la directe lignée musicale de Furtwängler, mais à sa différence, il connaît aussi la difficulté d'être juif, de passer par les camps, d'en ressortir, miraculeusement surement, mais entièrement broyée. Comment la musique aussi belle et puissante soit-elle pourrait-elle être à la hauteur d'une annihilation aussi minutieuse et glaciale de l'être humain. Rodolphe ne sait pas - encore - la musique comme Wilhelm Furtwängler, mais Rodolphe sait les camps et le silence qui en ressort.

Une question importante, centrale, se pose découlant des décisions et des agissements du chef d'orchestre. Placer la musique au-dessus de tout, et de l'homme, est-elle une attitude acceptable éthiquement ? Si c'est la posture qu'il adopte, qui lui vaudra les critiques justifiées de ses contemporains, Thomas Mann pour ne citer que le plus grand, un procès après-guerre, il n'en reste pas moins qu'il y croit à son absolutisme en cherchant une posture impossible à tenir, celle de se détacher des positions du régime tout en étant l'un de ses maillons les plus essentiels, cette façade de culture germanique supérieure que ces petits hommes cherchaient à entretenir. La musique, accordée du son de chacun des instruments qui composent l'orchestre, donne clairement le la à ce requiem, ce choix funeste, cette tragique incapacité à renoncer à ce qui fait son identité, sa musique, plutôt qu'au refus de cette politique de l'horreur et de la destruction infâme, le refus de la paix de son âme.

La musique me semble être ici un moyen pour essayer de mettre le plus de recul possible entre la guerre et le présent pour Rodolphe, une bulle pour se protéger pour Wilhelm Furtwängler. Parler du destin de ces trois personnages, c'est aussi utiliser le langage musical, le mieux à même de donner un sens au choix intenable du chef d'orchestre, à la direction qu'a pris Rodolf ainsi que celui de sa mère, qui a donné son chant du cygne à Birkenau. On ne pourrait pas mieux dire que Weimar a tué la Musique, en donnant à Wagner comme à Wilhelm Furtwängler une part de culpabilité inaliénable, en exterminant les musiciens juifs, en étouffant les voix pourtant puissantes des chanteurs d'opéra. L'artiste raté à la moustache atrophiée a jeté le voile de sa médiocrité sur tout ce qui constituait les grandes pointures de la musique allemande, tout comme il l'a fait avec la littérature. Mais l'Artiste, en général, a de la ressource, l'essence de son être est de créer, contrairement au petit Adolf qui a passé sa vie à détruire, et c'est peut-être Rodolphe, en charge d'entretenir, de cultiver, et transmettre le génie de son mentor, qui est l'instrument de ce renouveau.
Lien : https://tempsdelectureblog.w..
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