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Citations sur Berlin Requiem (27)

L’hiver 1932 est une saison de mauvais augure. Le froid semble avoir figé la crasse de Berlin sur les plaques de neige qui persistent aux coins des rues. Un taxi dépose Wilhelm Furtwängler sur Mohrenstrasse, dans le quartier massif des affaires et des maisons de l’État, chic et bien ordonné. Adolf Hitler l’attend à l’hôtel Kaiserhof, de l’autre côté de la Wilhelmplatz, à deux pas.

Le chef d’orchestre marche un instant, histoire de se détendre. Il n’aime pas rencontrer les hommes politiques et encore moins les nationaux-socialistes. Une jeune femme le dévisage et lui donne un sourire radieux, belle dans la blondeur froide du matin.

Au kiosque à journaux, Furtwängler aperçoit sa photo. Le Berliner Tageblatt annonce le concert qu’il doit donner ce soir, au Staatsoper : Un Requiem allemand et Première Symphonie de Brahms. Une pure merveille, souligne l’article. Un chef au sommet de son art. Les autres canards consacrent leurs unes aux élections législatives. Der Stürmer pend à un papillon de métal. Une caricature, pleine page, représente un homme mal rasé, aux yeux lubriques et au gros nez crochu. Un titre en gothique, rouge et noir : « Les Juifs sont notre malheur ».

L’hôtel Kaiserhof est un immense palace qui date du siècle dernier. Grand luxe et limousines secrètes qui patientent à la porte. La direction ne cache pas ses sympathies nationales-socialistes. Les membres du NSDAP y sont régulièrement invités, le patron est un ami. La chancellerie du Reich se trouve en face. Une place à traverser si jamais les nazis sont élus.

Les élections législatives sont dans deux jours. Adolf Hitler veut connaître les sentiments de Furtwängler vis-à-vis de Bayreuth. Car les relations entre le maestro et Winifred Wagner ne sont plus au beau fixe.

Un an plus tôt, Furtwängler a voulu piloter un avion pour se rendre à Bayreuth, première fois qu’il y participe. Winifred Wagner souhaitait faire un coup d’éclat en invitant Arturo Toscanini, l’immense gloire internationale. L’avion du chef allemand subit des avaries, on manque casser du bois et y rester. Furtwängler arrive en retard pour les répétitions de Tristan. Winifred Wagner n’apprécie pas ce qu’elle interprète comme une regrettable légèreté et encore moins Tietjen, l’administrateur du festival, un nazi convaincu.

Cette année-là, on célèbre l’anniversaire de la mort de Cosima Wagner et de son fils Siegfried. Toscanini tient forcément le haut de l’affiche. Il a précédé Furtwängler au festival et il est de très mauvaise humeur, malade paraît-il, déjà que son caractère n’est pas facile. Les deux chefs n’ont pas tardé à se détester cordialement. Furtwängler s’est taillé la part du lion dans la programmation, à lui l’Héroïque de Beethoven, à Toscanini Une Ouverture pour Faust de Wagner, œuvre mineure pour un maestro de sa taille.

Durant les répétitions, Tietjen ne cesse pas de rapporter les réflexions désobligeantes du chef sur Winifred Wagner. Et puis, Toscanini quitte le festival dans une colère monumentale, parce que du public assiste aux répétitions et qu’il ne le supporte pas, à l’inverse de Furtwängler qui adore ça. Sans parler de cette ambiance brune que le chef italien renifle partout et qu’il déteste. Le soir du concert, Furtwängler dirige comme jamais, des femmes s’évanouissent. On pourrait en rester là mais le chef se permet de critiquer, directement dans la presse, les choix artistiques de la belle-fille de Wagner. Une sorte de crime de lèse-majesté qu’elle ne lui pardonne pas. L’arrogance a ses limites. Furtwängler gagne deux cent mille marks par an alors que Strauss ne dépasse pas les quatre-vingt mille. De quoi se plaint-il en permanence ! Winifred ne décolère pas, le chef à qui elle sert du « très cher ami » s’occupe de tout et tire sans cesse la couverture à lui.

Hitler demande :

– Si nous sommes élus, reviendrez-vous à Bayreuth ?

– C’est une question difficile. La balle est dans le camp de la famille Wagner.

Hitler sourit, une drôle de mimique de garçonnet gêné de poser des questions, un peu gauche dans sa manière de faire des compliments. Furtwängler s’attendait à un personnage impressionnant, un type gonflé d’orgueil et de revanche, un ancien de la Grande Guerre, croix de fer, avec un regard droit et froid, comme on en rencontre si souvent. Les actualités montrent sans cesse un tribun dégoulinant de haine et de sueur, de colère et de revanche. Il se trouve face à un garçon coiffeur qui cherche ses manières, un tantinet efféminé.

– Winifred Wagner est une amie personnelle, dit Hitler. Elle est acquise depuis toujours à la mission historique du national-socialisme. À notre plus grande cause ! C’est elle qui m’a fait parvenir du papier quand j’étais en prison et que j’écrivais Mein Kampf !

Adolf Hitler réfléchit et s’assombrit soudain. Engoncé dans un costume noir de grand prix, il a presque l’air élégant. Furtwängler l’observe, amusé et inquiet à la fois. Il connaît les actions de la SA* et le programme des nationaux-socialistes. Il en croise partout, de ces vauriens en uniformes quand il déambule dans Berlin ou les autres villes d’Allemagne. On a beau lui dire que ce sont tous des battus de la crise, des laissés-pour-compte, il n’en démord pas : tous des voyous et des ratés à qui l’ont fait miroiter les délices du petit pouvoir ! Cette populace saura cravacher les élites, les bons, les intelligents, si jamais elle prend d’assaut la démocratie. De ses yeux bleus pareils à de l’acier, Hitler épie chaque expression du maestro comme quelqu’un qui s’y connaît en hommes et qui sait jauger avec certitude.
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La musique a des accords que les mots ne peuvent dire, ni même comprendre. Faut- s’y résoudre. Elle est la parole profonde de l’âme, elle ne se trompe pas. Elle irradie de Rodolphe, parce qu’il sait prendre tous les risques et qu’il est de toutes les audaces.
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Tout a commencé par un pacte entre Hitler et Staline. Tout le monde en a parlé. Rodolphe ne connait rien à la politique mais il s'est souvenu qu'en Allemagne les nazis détestaient les communistes. Comment pouvaient-ils tomber d'accord pour s'acoquiner et ensuite se jeter sur la Pologne ? P153
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Berlin. Mars 1946.
Le cinéma aux armées, aux militaires américains envoyés en Allemagne :
Vous verrez de beaux paysages, ne les laissez pas vous tourner la tête. Vous êtes dans un pays ennemi.
Le parti nazi est peut-être dissous mais la façon de penser nazie, le dressage nazi et la tricherie nazie demeurent.
Quelque part dans cette Allemagne, il existe deux millions d'officiers, tous ex-nazis. Ils n'ont plus de pouvoir, mais ils sont toujours là et ils réfléchissent à demain.
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‶ L’art doit se placer au-dessus de la politique. ″
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Vous êtes le plus grand chef du siècle et c'est pour cela que je ne peux pas vous pardonner. Vous ne deviez pas, par votre présence en Allemagne, apporter quelque caution que ce fût, même passive, à la barbarie.
Thomas Mann - Lettre à Wilhelm Furtwangler P141.
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Le Philarmonique a donné son dernier concert le 16 mars 1945. La salle de l'Admiralspalast affichait complet. Jusqu'au bout, le public est venu. Malgré les bombes, même les jours les plus durs, quand Berlin tremblait au point que les lustres de la salle faisaient d'effroyables cliquetis.
Les musiciens se sont séparés le jour même, entre deux alertes, comme on le fait après un enterrement, la mine contrite, en essayant un sourire d'au revoir, sans conviction. On ne sait plus quand on se reverra.
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La gloire n'est rien, en comparaison de la paix intérieure.
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Rodolphe se met à espérer. C’est bête on ne croit jamais vraiment au pire. L’homme est ainsi fait, il n’envisage jamais vraiment le mot de la fin. À moins d’en avoir la certitude absolue.
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Cet homme a une multitude d’idées marginales et fort conventionnelles sur l’art .Sa médiocrité m’aurait effrayé si je n’avais pas été persuadé que jamais il ne parviendrait au pouvoir
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