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Critique de jlvlivres


« La miséricorde des coeurs » est l'unique roman de la miséricorde des coeursSzilárd Borbély, auteur hongrois (1963-2004). Traduit par Agnès Járfás de « Nincstelenek - Már elment a Mesijás ? », littéralement « Les Dépossédés – Alors, il est déjà parti, le Messie ? » (2015, Christian Bourgois, 336 p.). Livre publié de façon posthume en 2013, et unanimement reconnu comme un chef d'oeuvre, récompensé par le prix « Attila József » en 2014. Borbély a surtout écrit des poèmes, parmi eux un troublant « Berlin-Harlem » paru en 2003. Bon, je sais tout le monde ne lit pas couramment le Hongrois, moi le premier. Mais lorsque l'on sait que ce poème a été traduit par Ottilie Mulzet, une canadienne de Toronto qui a également traduit László Krasznahorkai, on peut commencer à réfléchir. Ce qui lui a valu le prix « National Book Award for Translated Literature » pour la traduction de « Homecoming du Baron Wenckheim », le dernier tome de la trilogie, initiée avec « Satantango » et « La Mélancolie de la Résistance ». On peut également se poser la question de savoir qui édite Szilárd Borbély en anglais. Ce sont les presses de NYRB (The New York Review of Books). C'est d'ailleurs par une publicité dans cette revue (Janvier 2022) que j'ai retrouvé l'auteur. Avec « Berlin Harlem » et « In a Bucolic Land », traduction de « La miséricorde des coeurs ».
Szilárd Borbély (1963-2014) est né à Fehérgyarmat, tout au bout de la Hongrie, pas très loin de la frontière avec la Roumanie, la Slovaquie et l'Ukraine. C'est dans la Puszta, la Grande Plaine, là où les chevaux sont rois, s'ils ne sont pas domptés par les Roms ou les Tsiganes. Et où tout est plat à perte de vue. Mais bon, il y a des cigognes. Non pas noires et blanches comme en Alsace, mais plus grises, comme sales. Donc une région rurale, qui sert de cadre au roman. Borbély est issu d'une famille pauvre, d'autant plus que son grand-père, d'origine juive, a été déporté à Auschwitz. On pourra relire Curzio Malaparte « Kaputt » dans lequel il me sembla, il y a cet arbre aux pendus et ces panier pleins d'oreilles coupées.

Le roman se passe dans la Hongrie rurale en 1968, soit douze ans après l'insurrection, et sa répression, alors qu'une famille essaie de subsister dans sa vie de tous les jours. La famille, ou ce qu'il en reste. Un jeune fils, sa grande soeur et son petit frère, la mère, fille de koulak, fermier qui possédait sa terre, le père, dernier juif rescapé du village, la tante et les grands -parents. Cela se passe donc bien après la guerre, mais pas avant le départ des Russes qui occupent le pays. « L'effrayante situation de notre pays. J'ai le sentiment, j'ai l'intuition de vivre dans une société malade qui rend ses membres malades ».
Il ne se passe pas grand-chose dans ce village, où les habitants peinent à survivre. Reste pour le garçon la magie des nombres, surtout si ils sont premiers. « Nous marchons et nous nous taisons. Vingt-trois ans nous séparent. Vingt-trois est un chiffre indivisible. Vingt-trois ne se divise que par lui-même. Et pa l'unité. Voilà la solitude qui nous sépare. Impossible de la fractionner. Il faut la trimbaler en son entier. Nous portons le déjeuner. Nous marchons sur le talus ». La capitale est loin. Les autres pays ne le sont pas, mais les frontières sont bouclées. Mais ce sont des familles paysannes, même siles kolkhozes sont apparus « Parce que les seigneurs, c'est nous. Aujourd'hui, le peuple est seigneur. Les exploités d'hier. Maintenant c'est nous qui exploitons les koulaks ». D'ailleurs le kolkhoze refuse d'employer le père, sous prétexte que c'est un ancien koulak. Dans le village, donc, tous est misère ou désespoir. « Chez nous, ce n'est pas comme chez les pauvres : il n'y a pas ceci, où il n'y a pas cela. Chez nous il n'a rien du tout ». Même pas un minimum d'hygiène. Avec une bassine au milieu de la cuisine. Eau froide et eau quasi gelée, même pas à volonté. « Ils ne prennent jamais de bain, ça me répugne. Ils ne se lavent pas, leurs enfants sont sales, ils se fichent d'eux. Ils les lâchent comme Dieu lâche les mouches ».
Et la vie passe, sans fait notoire. « Ma mère porte un fichu sur la tête. Nous disons une pointe. Les femmes doivent se couvrir la tête. Les vieilles nouent le fichu sous le menton. Elles doivent le porter noir. le fichu de ma mère est coloré. Elle le noue dans la nuque, sous son chignon. L'été, elle porte une pointe légère. Une blanche, à pois bleus. Elle l'a reçue de mon père l'an dernier, à la foire de Kölcse. Ma mère a des cheveux châtains. Châtains roussâtres, comme les marrons. Tous les marrons ne sont pas roussâtres. Moi et ma soeur ramassons les marrons à l'automne. le village n'a qu'un marronnier ». Il y a bien sûr le rêve de partir. Pour où ? jamais réalisé ou réalisable. « Nous allons partir d'ici. Dans pas trop longtemps, nous allons partir. le Seigneur va nous libérer, béni soit son nom ».

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