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Critique de Bibliozonard


Paul, Blaise, Charlène et Eloïse, pour ne citer qu'eux, sont accros à la roulette.
Ils se retrouvent tous et sympathisent très vite au Château-L'Envieux, une petite station thermale du Lot-et-Garonne. le casino est leur allégorie de la caverne. Sortis de leur rocher poussiéreux et sombre, ils savent ce qu'il y a dans la lumière. Une nouvelle vie s'ouvre à eux.
Il est normal de ne plus avoir envie de retourner dans cette cavité cachée dans une montagne insignifiante. Ils sont si bien dans cette plaine aux couleurs psychédéliques.

La directrice du casino temporise, mais pas trop. « Elle espère qu'ils ne claquent pas trop de fric… » (p93-94) ; elle rejoint un peu la vision romanesque de la chose, par son aspect pouponné de la « figure maternelle » de l'aire de jeux, à la fois compatissante et commerciale, une caricature rassurante, presque tout droit sortie d'une oeuvre de Dostoïevski. À contrario, le joueur imagine plus un larbin chic et choc au service d'actionnariat sans scrupule. Même si « la matrone » espère, les jeux sont faits.

Ces gens bondissent vingt ou trente ans en arrière, ils redécouvrent la fougue, les passions de leur jeunesse, les insouciances, les abandons dans les risques inconsidérés ; tous colmatés dans une vie construite sur des habitudes incertaines. « Zéro » est arrivé, le zéro c'est le « Thelma et Louise » de leur vie ! « Un enchaînement de choses indésirables nous arrive, on ne les souhaite pas, mais c'est là, il faut se débrouiller avec les conséquences, improviser, faut toujours régler les choses, comme ça nous arrange. » (Rem.perso.)
Cette lecture est un plongeon dans un trou noir malsain, diabolique. « le jeu provoque de telles montées hormonales, de telles poussées de détresse, qu'il en devient blessant, venimeux, cruel, odieux… » (p125)
L'amour à un rôle énorme dans une vie où tout est devenu compliqué.
C'est un contre courant extrêmement puissant dans la perdition. Un remontant. L'effet est percutant comme pour Paul qui redécouvre des sentiments et s'absente dans une relation charnelle appétissante où « Paul n'a pas pensé une seule seconde au casino » (p161 ; j'aimerais voir ses tableaux d'ailleurs…), et Blaise qui se bat contre un deuil où — « le temps assourdit la douleur, mais ne l'efface pas » (p163), il finit par s'ébattre comme pour la toute première fois, toute, toute première fois…

« Des années après, quand l'addiction n'est qu'une cicatrice, qu'elle est loin derrière, la honte subsiste, c'est un prix à payer non négociable. Et elle ? Rosalie, elle n'a jamais rien dit, elle comprenait. C'est tout ce que j'ai eu à offrir, des dettes honteuses. Sa gentillesse me brise le coeur, c'est pourquoi je l'aime autant. » (Rem.perso.)

Note positive ! Sachez qu'il existe une autre solution radicale que l'interdiction au casino et que le suicide – oui, le jeu est une longue mise à mort, l'envie d'en finir existe belle et bien, c'eût pu être un chapitre à lui tout seul, titré : mise à mort. Il existe un autre moyen efficace donc : arrêter de jouer du jour au lendemain. C'est possible, si, si vraiment.

Pendant toute l'histoire l'auteur utilise la technique de la période. Cela lui permet d'être au plus près des pensées des personnages. Il touche à l'intensité des émotions, à la pensée excitée par le choix des chiffres, au besoin de miser, à la paranoïa du joueur. du texte continu, des petits chapitres, c'est nerveux, c'est complètement adéquat pour toucher la véritable décadence, le désespoir, la folie, l'instant présent sans autres dimensions temporelles, car on ne se projette plus vraiment, on survit de faux objectifs tant qu'on joue.

Au bout du compte, le lecteur « replonge dans le réel, comme on sort d'une hypnose » (p119) après ce moment intime en compagnie de tout ce monde.
- Lisez-le et silence on souffre !
CLAP !


« Il y a quelque chose de spécial dans le sentiment que l'on éprouve, lorsque seul, en terre étrangère, loin de sa patrie, de ses amis, et ne sachant ce que l'on mangera ce jour-là, on risque son dernier gulden, le dernier des derniers ! Je gagnai et vingt minutes après, je ressortais du casino avec cent soixante-dix guldens en poche ! C'est un fait ! Voilà ce que peut, parfois, signifier un dernier gulden ! Et si j'avais alors perdu courage, si je n'avais pas osé prendre une décision ?...
Demain, demain, j'en aurai fini avec tout cela ! »
(Le joueur, Fiodor Dostoïevski, 1866)
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