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Critique de Bertrandoulefifre


Est-ce bien un roman ? L'éditeur ne l'a pas identifié, tant mieux ! Un récit peut-être, un voyage philosophique aussi - au sens des encyclopédistes du XVIIIe siècle ? Je pencherais pour un poème en prose, tant la divagation – cependant rigoureuse – et la langue l'emportent souvent sur la rationalité d'une progression romanesque. Un long sonnet libre, une ode à la beauté, une ballade vertigineuse...

Ce dernier livre de Lucile Bordes m'a permis de comprendre pourquoi j'avais aimé les 2 derniers (le premier – La Marquise de Carabas, très beau aussi, étant hors concours). Pour moi, un livre est avant tout une écriture, un style. le mieux étant atteint quand fond et forme s'épousent au plus fort. Ici leur maîtrise est – plus que précédemment encore – entière : l'écriture et la vision poétiques sont à leur apogée et leur intrication dans la profondeur du propos fonctionne à plein.
Ce que j'ai finalement compris, c'est que Lucile Bordes possède une petite musique – comme on distingue celle de Duras, de Sagan ou d'autres – faite de tristesse, de douceur, de poésie et du rythme de son chant.

Car, de questions essentielles, ce récit en regorge. Que faire de la beauté certes, mais aussi, lorsque de nouveaux paradigmes auront remplacé ceux sur lesquels nous vivons depuis des siècles, que sera cette néo-beauté ? La reconnaîtrons-nous comme telle ? Habitants d'aujourd'hui transportés dans un monde que nous ne pouvons imaginer ?

La question se pose bien sûr pour le roman en tant que forme, quoique raconter des histoires a sans doute été - avec la danse et la musique - le fondement même de l'expérience sociale de l'Homme. Si les livres venaient un jour à disparaître, l'Homme continuerait à avoir besoin de ce qu'ils contiennent pour décrire la beauté du monde ou ses terreurs. Les exalter, les retenir ou les exorciser.
Alors, à quoi bon, tout ça ? Écrire pourquoi, pour qui ? Qui d'autre qu'un écrivain peut répondre à ces questions, non pour y apporter des réponses, mais simplement pour raconter le monde et lui-même ? La seule chose qu'il sache faire et que le lecteur attend.
Pour dire à l'Autre tout simplement.

Plus qu'à 1984 que Lucile Bordes cite, mais dont la noirceur absolue tient son récit à bonne distance, c'est davantage à Fahrenheit 451 que j'ai pensé dans ce que Bradbury et Lucile montrent si bien : la valeur incomparable du livre, même et surtout s'il est menacé. Son tour de force à elle est de le dire “en creux”, sans lyrisme, ni plaidoyer larmoyant. Là précisément, fond et forme sont en parfaite harmonie : jamais de thèse ou de démonstration ; le sujet est tenu dans une belle mise en scène économe qui s'ajuste à un style élégant, rigoureux, sobre et juste. Parsemé çà et là de belles trouvailles et de formules poétiques inattendues, comme des fleurs sur les chemins du Haut-Pays. de la belle ouvrage !

Question plus cruciale enfin dans ce monde qui explose de trop de vies et s'effondre sous leurs propres poids dans une indigestion quasi planétaire : que faire de l'humanité qui nous constitue ? Comment soutenir et accepter les déferlements actuels et futurs de déplacés de toute nature, politiques ou écologiques ?
À lire Lucile Bordes, la réponse paraît si simple, si évidente - malgré nos différends, nos différences :
« Je porte la main à ton front [...] je te veille, immobile dans le fauteuil au bord du lit où tu dors. »

Mais ce ne sont sans doute là que les questions que son livre m'aura adressées, celles que Lucile Bordes aura soulevées pour moi lecteur ? D'autres - chaque lecteur même - en aura listées bien d'autres, sans réponses...
Oui, j'aime décidément ces livres – fictionnels ou non – qui mêlent poésie et réflexion. Ils ne sont pas si nombreux qui nous nourrissent ainsi. Histoires pour se refaire une beauté...
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