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Critique de Berthelivre


Un village français, au mois de mai et dans les premiers jours de juin 1944. Une petite garnison allemande est installée dans le château qui domine la commune, sous les ordres du lieutenant Bachmann qui aime la tranquillité de l'endroit, la musique de Wagner et les tulipes, et ne songe pas à faire de zèle.
Mais dans le bourg, après quatre ans d'occupation, de restrictions, de rationnement, de réquisitions, et avec la perspective de plus en plus proche du débarquement, les désaccords politiques et les humeurs s'exaspèrent.

Des personnages hauts en couleurs, de la plus sombre à la plus lumineuse. Et terriblement, charnellement réels, sous la plume inventive de Bory qui goûte à tous les registres d'écriture : truculente, gourmande, ironique, poétique aussi, qui régale ! Un peu cousine de celle de Marcel Aymé dans Uranus, si je me souviens bien.

Tous les personnages retiennent l'attention, mais celui de la Germaine emporte tout sur son passage. « Cuisse-hospitalière » et douce, mais tête et coeur résolument hostiles aux occupants et à leurs collaborateurs, franc-parler et gouaille intarissables, tentée par le mariage avec un gros fermier du village, pourtant sale bonhomme, opportuniste et pleutre, mais qui lui donnerait un statut social enviable, c'est elle, l'homme de Jumainville, déterminée et éruptive.

Le roman, qui débute comme une pochade d'une ironie féroce, progresse, presque de façon inopinée, vers le drame. Il y aura des arrestations, des morts violentes, mais constatées, racontées avec une sorte de fatalisme. Qui sème le vent... Et puis la montée en puissance du texte se confirme dans les cent dernières pages et le livre devient un grand livre. La Germaine a bien du mal à rire encore et à se moquer toujours...

Le roman a été écrit, semble-t-il, entre mai et juillet 1944. Donc encore, en grande partie, sous l'occupation allemande. Compte tenu de qu'il en raconte, Jean-Louis Bory ne laissait certainement pas traîner son manuscrit n'importe où...
Mais ce que je trouve extraordinaire, c'est que le livre, publié dès 1945, ait obtenu le prix Goncourt la même année, et ait connu un succès immédiat. Or il tourne le couteau dans des plaies qui n'avaient pas eu le temps de se refermer. Ce roman est le miroir impitoyable de toutes les petitesses et abjections qui ont été le contexte de la vie quotidienne des Français pendant quatre ans. de quelques droitures et héroïsmes aussi, peu fréquents et clandestins. Chacun, en 1945, avait dû avoir à connaître, à fréquenter, à aimer ou à souffrir des hommes et des femmes du genre de ceux décrits par Jean-Louis Bory. En 1945, l'épuration battait son plein, Mauriac et Camus s'étaient affrontés sur ce qu'elle devait être, et si elle permettait de cristalliser la rancoeur et la vengeance sur quelques têtes plus ou moins coupables, elle ne cessait de rappeler aux Français la période très trouble qu'ils venaient de traverser. Alors, faire un succès à ce livre qui illustrait si parfaitement des années tout juste achevées, dont bien peu pouvaient être fiers et dont beaucoup préféraient sans doute les oublier, n'est-ce pas très étonnant ?
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