Il était une fois un petit café-restaurant, entre ville et campagne, refuge d'une poignée de drôles d'oiseaux que le monde moderne n'avait pas encore engloutis.
« On boit un coup, on mange un morceau, on écoute des histoires. Toutes activités qui s'accommodent mal du va-vite. Chacun offre son grain de temps au sablier commun, et ça donne qu'on n'est pas obligé de se hâter pour faire les choses ou pour les dire. »
Madoval, le patron, Mésange, sa fille, Comdinitch, Failagueule et les accoudés du zinc braves de comptoir
« Pas des gueules de progrès », ces gens-là, mais de l'amitié, des rires, de l'humanité en partage et un certain talent pour cultiver la différence.
Jean-Pierre Ancèle signe un premier roman tendre et perlé comme une gorgée de muscadet, aux accents de Raymond Queneau ou de Marcel Aymé.
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L’âne en eut une si grande peine qu’il s’approcha de Marinette en boitillant de ses deux pattes et se mit à lui lécher les mains. Il voulut lui demander pardon et lui dire quelque chose de doux, mais trop ému, la voix lui manqua et ses yeux s’emplirent de larmes qui tombèrent sur le portrait. C’étaient les larmes de l’amitié.

Un matin, de bonne heure, on était au huitième jour de pluie, et les parents se préparaient à aller à la gare, malgré le mauvais temps, expédier des sacs de pommes de terre à la ville. En se levant, Delphine et Marinette les trouvèrent dans la cuisine occupés à coudre un sac. Sur la table, il y avait une grosse pierre qui pesait au moins trois livres. Aux questions que firent les petites, ils répondirent, avec un air un peu embarrassé, qu'il s'agissait d'un envoi à joindre aux sacs de pommes de terre. Là-dessus, le chat fit son entrée dans la cuisine et salua tout le monde poliment.
— Alphonse, lui dirent les parents, tu as un bon bol de lait frais qui t'attend près du fourneau.
— Je vous remercie, parents, vous êtes bien aimables, dit le chat, un peu surpris de ces bons procédés auxquels il n'était plus habitué.
Pendant qu'il buvait son bol de lait frais, les parents le saisirent chacun par deux pattes, le firent entrer dans le sac la tête la première et, après y avoir introduit la grosse pierre de trois livres, fermèrent l'ouverture avec une forte ficelle.
— Qu'est-ce qui vous prend? criait le chat en se débattant à l'intérieur du sac. Vous perdez la tête, parents !
— Il nous prend, dirent les parents, qu'on ne veut plus d'un chat qui passe sa patte derrière son oreille tous les soirs. Assez de pluie comme ça. Puisque tu aimes tant l'eau, mon garçon, tu vas en avoir tout ton saoul. Dans cinq minutes, tu feras ta toilette au fond de la rivière.
Delphine et Marinette se mirent à crier qu'elles ne laisseraient pas jeter Alphonse à la rivière. Les parents criaient que rien ne saurait les empêcher de noyer une sale bête qui faisait pleuvoir. Alphonse miaulait et se démenait dans sa prison comme un furieux. Marinette l'embrassait à travers la toile du sac et Delphine suppliait à genoux qu'on laissât la vie à leur chat. « Non, non ! répondaient les parents avec des voix d'ogres, pas de pitié pour les mauvais chats ! » Soudain, ils s'avisèrent qu'il était presque huit heures et qu'ils allaient arriver en retard à la gare. En hâte, ils agrafèrent leurs pèlerines, relevèrent leurs capuchons et dirent aux petites avant de quitter la cuisine :
— On n'a plus le temps d'aller à la rivière maintenant. Ce sera pour midi, à notre retour. D'ici là, ne vous avisez pas d'ouvrir le sac. Si jamais Alphonse n'était pas là à midi, vous partiriez aussitôt chez la tante Mélina pour six mois et peut-être pour la vie.
Les parents ne furent pas plus tôt sur la route que Delphine et Marinette dénouèrent la ficelle du sac. Le chat passa la tête par l'ouverture et leur dit :
— Petites, j'ai toujours pensé que vous aviez un coeur d'or. Mais je serais un bien triste chat si j'acceptais, pour me sauver, de vous voir passer six mois et peut-être plus chez la tante Mélina. A ce prix-là, j'aime cent fois mieux être jeté à la rivière.
— La tante Mélina n'est pas si méchante qu'on le dit et six mois seront vite passés.
Cultivateur et maquignon, Haudouin n'avait jamais été récompensé d'être rusé, menteur et grippe-sou. Ses vaches crevaient par deux à la fois, ses cochons par six, et son grain germait dans les sacs. Il était à peine plus heureux avec ses enfants et, pour en garder trois, il avait fallu en faire six. Mais les enfants, c'était moins gênant. Il pleurait un bon coup le jour de l'enterrement, tordait son mouchoir en rentrant et le mettait à sécher sur le fil. Dans le courant de l'année, à force de sauter sa femme, il arrivait toujours bien à lui en faire un autre. C'est ce qu'il y a de commode dans la question des enfants et, de ce côté-là, Haudoin ne se plaignait pas trop. Il avait trois garçons bien vifs et trois filles au cimetière, à peu près ce qu'il fallait.
Les riches d'aujourd'hui, c'est comme les fromages trop faits, ça ne sait plus garder les distances.
Il y a tant de saloperies dans le monde que tout le monde se fout du scandale à présent.
S’emparer ainsi du bien d’autrui, c’est très gênant, même à l’imaginer dans son lit. Mais avoir faim, c’est gênant aussi. Et, quand on n’a plus de quoi payer le loyer de sa mansarde et qu’il faut l’avouer à sa concierge et faire des promesses au propriétaire, on se sent tout aussi honteux que si l’on avait dérobé le bien d’autrui.
LES BOTTES DE SEPT LIEUES-P129
Une jument verte? Ce doit être aussi rare qu'un ministre vertueux.
La petite poule blanche prit son rôle si à cœur qu'elle devint un véritable éléphant, ce qu'elle n'avait pas osé espérer.
D'abord il lui fallut renoncer aux canapés et à tout autre accessoire surgissant dans un tête-à-tête gracieux. Le vétérinaire n'entendait pas ces façons-là. Il fallait faire l'amour au lit, et à l'heure où il était raisonnable d'être au lit. Avant de se coucher, Ferdinand urinait dans un pot. C'était la seule circonstance où il se sentît parfaitement à l'aise de porter la main à son sexe en présence de sa femme. Il se sentait encouragé, installé dans cette attitude, par tous les Haudouin qui en avaient usé ainsi. C'était une opération honnête, sans mystère, et ce bruit d'eau vive auquel il était habitué depuis l'enfance lui était une chanson de quiétude bourgeoise. Hélène mit du temps à s'y accoutumer.
12 mai. – Le marché noir des tickets de vie est en train de s’organiser sur une vaste échelle. Des démarcheurs visitent les pauvres et les persuadent de vendre quelques jours de vie afin d’assurer à leurs familles des moyens de subsistance complémentaires.
[…]
12 juin. – Les tickets de vie s’achètent à des prix astronomiques et l’on n’en trouve plus à moins de cinq cents francs. Il faut croire que les pauvres gens sont devenus plus avares de leur existence et les riches plus avides.
LA CARTE P 57