« C'est pas l'homme qui prend la mer
C'est la mer qui prend l'homme
Moi, la mer elle m'a pris... »
Dans un coin de Gaspésie.
Mais elle prend aussi la femme
Et c'est bien là le drame,
Car dans la Baie des Chaleurs
Y a aussi le malheur.
J'm'en vas vous dire, j'ai arrêté d'chauffer mon char, j'l'ai r'misé près d'la galerie, pis j'ai bloqué mon cellulaire.
Hiiii, j'ai réglé mes yeux sur le large, pis j'ai pu bouger. J'suis resté là, las.
A contempler la beauté qui rassure. « La Mer Veille ».
« Des fois, on veut tellement rien que le temps finit par nous devancer ! »
La vie des marins, c'est pas toujours marrant, alors, quand on est pêcheur, on est aussi pécheur.
« Faut dire que chez ces gens-là, on n'vit pas, on triche ! »
« C'est malgré nous. Nous embarquons et larguons le monde parce que nous portons l'infini et que notre seule réponse, c'est l'horizon ».
J'm'en vas vous dire, la terre est austère, y a rien à y faire, alors ces gens-là, y prennent la mer, pis y s'disent que ça s'ra moins amer, pis qui s'f'ront d'la tune, pour chasser l'amertume.
« Faut dire que chez ces gens-là, on n'cause pas, on compte ! »
« La mer, c'est pas un choix. (…) On va en mer parce que c'est la seule porte qui s'ouvre quand tu sonnes, parce que ça te réveille la nuit. Chaque fois que t'accostes, que t'entres dans la foule, tu sens ta différence. Tu te sens étranger. Tu vas en mer parce que t'es en porte-à-faux avec le monde et qu' y'a juste dans le silence du vent que t'es à ta place ».
Les embruns, ça rend brun, ça rembrunit.
Les embruns, ça rend ferme, ça renferme.
Sur le sol, ils s'isolent, camisole.
Sur l'eau, y a des vagues, ils divaguent.
« La Gaspésie, c'est une terre de pauvres qui a juste la mer pour richesse, pis la mer se meurt. C'est un agrégat de souvenirs, un pays qui ferme sa gueule pis qui écoeure personne, une contrée de misère que la beauté du large console. Pis on s'y accroche comme des hommes de rien. Comme des pêcheurs qui ont besoin d'être consolés ».
J'm'en vas vous dire, à force euh d'penser, y dérivent vers la nostalgie. Pis alors, celle qui s'pointe, c'est la mélancolie. Passé l'phare des hallucinations, y se r'trouvent dans la baie des déprimés, y a pas que dans l'ciel qu'on devine la dépression.
« Le présent n'avait de beauté qu'en regard de l'hier et n'assumait pas les comparaisons »
Dans l'eau, y a des remous qui durent, ça active le sang, mais ça peut l'modifier, quand un gêne mute, le corps lutte pour garder l'esprit sain.
C'est les vagues « qu'enserrent » le panier de crabes.
Quand la mer se calme, c'est que la « mort fine » a rempli son rôle.
Mais faut toujours se méfier de l'eau qui dort.
« Toute vérité est mouvante et insaisissable. Ceux qui vont en mer le savent : ce qui est déposé sur la vague se brise et se reconstruit constamment. Autrement. le vent, le courant et la houle sont insatiables et il faut être vigilant, même sur une mer d'huile. « Ce qui est là maintenant te fera mentir dans dix minutes. » Il disait que nous n'existions que grâce au mensonge émouvant de la vie ».
Celui qui fait retourner les mots dans tous les sens.
Le sel de la vie qui ment, le vent de la scie qui mêle, le sang de la mie qui vêle.
Le flux et le reflux qui alternent inlassablement.
Rester ? Partir ? Aller voir ailleurs si l'eau est plus bleue ? Franchir la ligne d'horizon.
« L'exotisme, c'est un leurre, doc, un divertissement temporaire pour les amateurs de photos qui font du scrapbooking avec leur vie ».
C'est aussi un moyen d'aller à la recherche de ses origines. Partir pour comprendre, arriver pour apprendre, se poser pour se méprendre.
Chercher l'ailleurs pour faire le point sur sa vie, c'est se rendre à l'évidence, revenir au port ne fera pas changer le sort. Et accepter la mort…
« Le ciel s'ennuageait, promettant une pluie lasse. La mer frappait fort les cailloux de la grève qui brisaient leur bruit de verre à mes pieds. Les goélands cassaient les carcasses crispées des crabes sur les rochers. Grise et lourde, sans soleil ni enfant, la mer n'est-elle qu'un tombeau fermé et silencieux qui secoue ses ossements de corail? »
Avec les humains, c'est comme avec les éléments.
C'est qu'avec les taiseux, faut marcher sur des oeufs, si tu les bouscules en pleine cuite, y se r'ferment comme une huître.
Est-ce que la bôme a heurté la môme ?
L'inspecteur est mené en bateau, il a mis les voiles pour faire le vide, pour se donner un avis sur sa vie. Mais ça se voile dans sa quête, tout autant que pour l'enquête.
Le voilier a chaviré, le corps a basculé, mais c'est lui qui touche le fond.
Trop de présumés coupables, ça l'accable. Bonaventure lui rend la vie dure.
Mais elle ne dure pas pour tout le monde, la vie. La mer a pris la mère, la fille se perd, qui est son père ?
Ici, tout le monde se connaît, donc tout le monde se tait. le cadavre ranime les souvenirs, mais c'est déjà loin, ça va pas la faire revenir.
Les indics font grève, pas d'indices sur la grève.
A qui profite le crime ? Mais si ce n'était qu'un accident ?
Roxanne Bouchard aime la Gaspésie et les Gaspésiens. Elle tire les ficelles d'une histoire en dentelles, y a des trous dans la corde à noeuds, autant que dans les filets, bien difficiles à remonter. Les personnages sont forts en gueule et truculents, comme leur parler. Beaucoup de dialogues qui rendent le texte attrayant, malgré la sombritude des lieux et des situations.
Et la mer qui mène la danse, qui recule et avance, à son rythme, ça fait marrer. C'est à Caplan et c'est accablant. Les mensonges, les omissions.
Mais c'est un roman policier poétique, où les femmes sont à l'honneur. Et elles le gardent leur honneur, elles ne se font pas démonter, par la marée de marins pas toujours marrants, qui picolent et bricolent, pour se donner une contenance, et qui commencent à s'faire vieux, à défaut de faire mieux.
St Ciboire de Câlisse, du désespoir et de la malice, un cocktail salé, j'en ai encore des traces sur la peau, et les yeux qui piquent. Ne pas frotter, juste apprécier, la baie des chaleurs, qui emplit de bonheur.
Y a une suite, pis j'm'en vas vous dire, j'vais pas la lire, trop de souvenirs, à garder en mémoire, restons-en là, au sel de la mer. Hiiii !
« Dans le miroir brisé de l'eau, je suis un vitrail explosé, une mosaïque éclaboussée, une mémoire dysfonctionnelle au temps désajusté, un amas d'images en vrac qu'un orfèvre fou a agencé dans un ordre dyslexique ».