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Critique de HordeDuContrevent


Autopsie d'une trahison grandeur nature !

J'ai choisi de découvrir l'univers de Bouffanges avec ce livre peu chroniqué sur Babélio : Triumvirat dont le sujet me plait étant joueuse amatrice d'échecs et ayant participé à quelques tournois dont les souvenirs me laissent un arrière-gout de souffrance, de grande concentration, de moments entre parenthèse complètement hors du temps, de lutte acharnée, de petites joies et d'immenses déceptions. Une période durant laquelle les nuits furent visitées de rêves, mais le plus souvent gangrenées de cauchemars, bien entendu échiquéens ; les conversations tournaient en boucle sur les notions d'ouverture, de finale ; les pensées toutes tournées constamment vers les 64 cases. Une obsession, d'autant plus inutile qu'il s'avère que je fus bien piètre joueuse. J'ai arrêté pour ne jouer que pour le plaisir, désormais l'unique objectif, mais voilà le pourquoi du choix de ce livre parmi la bibliographie très éclectique de Bouffanges.
Le jeu de stratégie dont il est question est en effet assez proche du jeu d'échecs et le héros, Jacques Leroux, participe à un tournoi de niveau mondial, lui qui n'est que débutant…de quoi prendre mon rêve pour la réalité par procuration. le pied !

J'ai vraiment cru que ce jeu existait tant la présentation, détaillée et érudite, qui en est faite est brillante. Il nous est ainsi expliqué par le concepteur du jeu, passionné d'histoire romaine, que le nom de ce jeu provient du Triumvirat de Lépide, Marc-Antoine et Octave, union des héritiers politiques de César face aux sénateurs qui ont proclamé Antoine et Lépide ennemis publics, et aux républicains, partisans des meurtriers du dictateur.

« Cette histoire m'a inspiré l'idée d'un jeu où deux joueurs dirigeraient chacun une armée à un bout du tablier de jeu, et devraient s'allier contre une armée blanche centrale, qu'ils contrôleraient conjointement. L'alliance perdurerait jusqu'à ce qu'un des deux alliés trahisse l'autre, moment à partir duquel l'adversaire prendrait seul le contrôle de l'armée blanche. Ce n'est en réalité qu'un jeu où les alliances se font et se défont ».

La trahison comme pilier central du jeu…Deux joueurs, trois zones de combat, une bleue, une rouge et une blanche en centre, cette dernière seule pouvant éliminer les pièces adverses encore faut-il en avoir le contrôle, avec chacune un roi, des pièces totalement différentes de celle des échecs en termes de noms (les reines bleue et rouge ont ainsi les étonnants noms respectivement d'Amante et de Mante), en termes de déplacement, des pièces sacrificielles notamment une pièce ultime à dégainer en cas de panique totale en contrepartie d'un grand déshonneur puisque ça rend la partie nulle alors que, lorsque vous la dégainez, c'est par désespoir : le sablier, pièce au centre du plateau en losange, un temps dénommé le livre de sables (tiens tiens, Bouffanges nomme une pièce du jeu du nom d'un livre de Borgès, comme c'est étrange…). Un jeu en 5 rounds…
Il me semble que le jeu est bien plus subtil que le jeu d'échecs, une sorte de mélange d'échecs et de poker où la collaboration précédant la trahison, le moment du passage de l'un à l'autre, a toute son importance.
Pas de panique si vous ne comprenez pas immédiatement les règles, à chaque fois qu'une pièce ou une stratégie est mentionnée, un petit chapitre de l'ars Triumviratus est présenté de façon très pédagogique. Tout s'éclaire peu à peu. Les grandes lignes du moins et c'est largement suffisant pour suivre l'histoire. Pas la peine d'être joueur de jeux stratégiques pour comprendre et aimer l'histoire.

« Il est perdu, c'est une évidence. Les stratégies de Leroux me font penser au football américain : dès le sifflet, tous les joueurs se mettent à courir dans tous les sens, comme un essaim d'abeilles, mais au fond, la plupart font juste n'importe quoi, et ce ne sont là que brouiller les pistes, seuls deux ou trois joueurs étant vraiment censés jouer la balle. Leroux joue ainsi : il bouge ses pièces en tous sens, un peu n'importe comment, pour couvrir un plan de jeu somme toute simpliste ».

Jacques Leroux, surdoué français des mathématiques combinatoires, prépare sa thèse. Il est passionné de triumvirat et après s'être qualifié en ligne, il va participer au tournoi professionnel de Baltimore puis de Tokyo. L'occasion pour lui, alors totalement inconnu, de découvrir tous les joueurs de renommée internationale. A son plus grand étonnement, non seulement il n'aura pas à rougir de sa position de débutant, mais il va s'apercevoir que les limites du jeu dépassent largement le seul cadre de l'échiquier. Tout d'abord il reçoit régulièrement des mails d'un certain Quircus qui lui donnent quelques conseils qui s'avèreront judicieux, ensuite il découvre tout un ensemble de stratégies à l'oeuvre depuis la main mise financière sur la fédération jusqu'à la volonté d'un de ses professeurs de développer une machine intelligente permettant de battre tous les joueurs de triumvirat ; enfin et surtout il découvre que chaque joueur joue un rôle et entre eux, les alliances se font et se défont, des stratégies se mettent en place, le jeu en lui-même étant soumis aux modulations proposées par les meilleurs joueurs, modulations qui consistent à proposer régulièrement de nouvelles règles rendant le jeu particulièrement mouvant et vivant. Jacques Leroux étant bien classé, sa voix compte et faire alliance avec lui revêt une importance croissante…jusqu'à la trahison ?

« Nous sommes tous les pions de quelqu'un, Jacques. A moins de vous faire ermite dans la montagne népalaise, dans chaque relation que vous entretenez avec les autres, il y a des échanges d'intérêts ».

Alors qu'il était venu uniquement pour le jeu et la victoire, le jeune homme va être embarqué dans un triumvirat grandeur nature. Quelle pièce occupe-t-il sur l'échiquier, nous allons peu à peu le comprendre. C'est un livre en tout cas passionnant, rendu fluide malgré la difficulté du jeu, grâce à l'alternance des chapitres de nature différente : chapitres dédiés à Jacques et son incroyable ascension, auxquels viennent s'intercaler ceux axés sur les extraits de l'Ars Triumviratus permettant de comprendre plus finement le jeu au fur et à mesure de l'avancée dans le livre, mais aussi des mails, des articles de journaux, des conversations téléphoniques, et surtout, élément très intéressant, des chapitres extraits d'un livre écrit par une journaliste « Autopsie d'une trahison » qui donne la parole à tous les protagonistes entourant Jacques Leroux : les différents joueurs, son ami Martin, sa copine Jeanne, les journalistes, ses professeurs. Cette alternance des styles, des points de vue, de niveau d'érudition apporte beaucoup de respiration et de dynamisme au texte et de subtilité à l'histoire.

« C'est fou : comment peux-tu être si bon au Triumvirat, et aussi nul pour comprendre la façon dont marche ce qui va autour. Ce n'est jamais qu'une partie grandeur nature ».

Le livre pose la question du raisonnement logique et mathématique par rapport à l'affect et à l'intuition dans la prise de décision, il nous fait réfléchir aux rapports humains non dénués de calculs stratégiques (la copine de Jacques dans le livre, semble être la référence pure, la voix de la conscience, l'éthique personnifiée), à leur sincérité, à la quête de sens dans la vie entre responsabilité et passion…C'est un livre très riche sous des dehors ludiques tant dans le thème choisi que dans la façon dont est construit le livre. Impossible par ailleurs de ne pas être touché par la passion, la passion du jeu, qui est abordé bien entendu dans le livre et qui me fait penser au livre « le Joueur d'échecs » de Stefan Zweig :

« Il ne jouait pas son armée, il en était le Triumvir, sur le tablier, au côté de ses pions. Plus d'une fois, il m'avait fait penser à ce film avec Robbin Williams, jumanji, dans lequel des enfants absorbés par un jeu y endossaient le rôle de leur pion. Leroux vivait ses parties intensément, et quand tous les journalistes s'étaient offusqués de sa manoeuvre inélégante face à Blckbone, j'avais, moi, compris ce qui l'avait poussé à jouer ainsi : la panique, simple et véritable, du guerrier sur un champ de bataille qui craint de mourir, et qui tente de sauver sa vie ».

Quelle riche et belle entrée dans l'univers de cet auteur qui me semble avoir beaucoup de cordes à son arc si j'en crois la diversité de ses livres, allant de la science-fiction au fantastique, en passant par le policier, l'anticipation, l'érotique, ou la littérature intimiste ! Prolixe, imaginatif et intelligent, me voilà sous le charme…je me suis faite bouffanger à mon tour…

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