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Critique de Gustave


Mettez en arrière-fond du Chostakovitch, compositeur soviétique contemporain de Boulgakov, et laissez-vous envoûter...


L'esprit espiègle, railleur et guilleret de ce pot-pourri folklorique de courts récits tranche éloquemment avec la réalité souvent peu reluisante de la vie soviétique qu'ils décrivent, même si l'on est encore à dix mille bornes des grincements sinistres des barbelés du goulag stalinien.


Lorsqu'il s'agit d'écrire une réalité sociale, historique, économique, etc. qui est en elle-même sombre (guerres, dictatures, systèmes totalitaires, crises économiques...), l'écrivain a deux choix: celui du recul qu'introduit un recours immodéré à la plume alerte et légère de la satire, ou celui de retranscrire cette réalité telle qu'elle est, y compris dans ce qu'elle a de plus affreuse.


Boulgakov a choisi à l'évidence la première option. Il est vrai que la Russie soviétique des années 20 demeure encore suffisamment tolérante, même s'il s'agit déjà d'une dictature, pour admettre une certaine insolence, que favorise un climat d'optimisme croissant au fur et à mesure que s'éloignent les années de terreur de la guerre civile russe. L'ancien médecin monté à Moscou fut à l'évidence contaminé par cette atmosphère.


On surprend même Boulgakov le Blanc, le tsariste contre-révolutionnaire, auteur d'un premier roman dont le titre est à lui seul un programme, la Garde Blanche (et qu'il a eu le culot de publier en 1925, la censure l'ayant laissé passer malgré ses réserves), écrire une nouvelle dépeignant en termes très élogieux la femme de Lénine, Nadejda Konstantinovna Kroupskaïa...La dernière phrase de ce récit est quand même, excusez du peu: "Nadejda Konstantinovna, je vous remercie" (sic!)


Il faut se pincer pour y croire, et pourtant je vous assure que pour une fois, le narrateur, derrière lequel Boulgakov n'est jamais très loin, était sincère et s'exprimait sans l'ombre d'une intention railleuse. Il faut dire qu'elle était très humaine pour une bolchevik, tentant même de protéger des victimes des Grandes Purges, à tel point que Staline la détestait à cause de cela et l'a peut-être même fait empoisonner, en 1938...


Les autres bolcheviks dépeints dans cette nouvelle apparaissent plus stupides que réellement dangereux. Point n'est question ici de purges, d'arrestations nocturnes et de délations...Il y est en revanche question d'orateurs communistes qui s'expriment en des termes incompréhensibles pour ces mêmes prolétaires qu'ils prétendent défendre (quel ouvrier russe moyen aurait pu comprendre les allusions à la Révolution française faits par ce camarade du Parti?)


On assiste aussi à la naissance d'un écrivain: par rapport aux Récits d'un jeune médecin, d'où tout fantastique était absent et qui demeuraient très autobiographiques, Boulgakov accorde désormais une place accrue à cet imaginaire fantastique qui progressivement deviendra la marque incontournable de son écriture (certaines nouvelles sont de manière évidente des déformations satiriques voire fantastiques de la réalité...).


Un ensemble révélateur d'une symbiose heureuse entre la vie d'un écrivain et la réalité de son temps.
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