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Critique de franksinatra


En 1936, Maille, jeune ingénieur français débarque dans la jungle malaisienne. Embauché au sein de S.O.P.H.I.A., une grande compagnie franco-britannique spécialisée dans l'exploitation du caoutchouc, il va apprendre, au coeur d'une plantation d'hévéas, le métier de planteur et vivre une aventure professionnelle et humaine toute particulière. Maille comprendra très vite que ce premier emploi est un véritable sacerdoce et qu'il va devoir consacrer sa vie à l'entreprise ; entre le travail, le bungalow sur la plantation et les soirées très arrosées au club, dans un climat des plus colonial où les rapports entre européens et autochtones faits d'une distanciation stricte sont érigés en valeur d'entreprise, Maille arrive à l'époque où la rationalisation des procédés de production et la taylorisation ont le vent en poupe. Après le temps des pionniers défricheurs vient celui dans lequel l'organisation du travail prend une place prépondérante dans l'entreprise. Les fiches, les chiffres, les statistiques, le chronométrage des tâches, l'administration s'imposent dans tous les services. La guerre met un coup d'arrêt au développement de la compagnie mais une fois les Japonais chassés, les cadres européens se retrouvent au travail, grâce notamment à l'un d'eux qui avait conservé les documents les plus importants dans une gigantesque malle dont il ne s'est jamais séparé durant toute la durée du conflit. La rationalisation est alors poussée à l'extrême jusqu'à l'absurde et Maille préfèrera quitter le navire plutôt que d'y perdre son âme.

Il serait fallacieux de réduire l'oeuvre de Pierre Boulle au "Pont de la rivière Kwaï" et à "La planète des singes", "le sacrilège malais" est en la preuve éclatante. A travers ce récit où l'auteur puise au fond de son expérience personnelle de planteur de caoutchouc et de combattant des Forces Françaises Libres en Malaisie, le rendant ainsi crédible et réaliste, Pierre Boulle met en avant dans un style plein d'humour et de fantaisie dissimulée les incohérences ridicules et monstrueuses de la rationalisation industrielle qu'il cristallise dans le personnage de Monsieur Chaulette, le directeur général qui se veut un bâtisseur d'empire et dont on ne sait au juste si sa recherche outrancière et caricaturale de la perfectibilité reflète un esprit subtil, influençable et torturé ou tout simplement une déficience intellectuelle et une incompétence notoire. Les anecdotes de la construction d'un bungalow, du choix de l'emplacement du logo de la société sur un bulletin interne, l'achat d'une dizaine de caterpillars tout à fait inutiles ou la constitution de comités chargés de constituer des comités sont symptomatiques de cet état d'esprit. A la lecture de ce roman casi autobiographique, on constatera avec plaisir que le droit du travail a heureusement bien évolué : quel salarié de nos jours accepterait un congé aléatoire tous les quatre ans, fût il de six mois ou d'être sommé de se présenté à 23 heures à une réunion de travail informelle pour discuter du choix, éminemment stratégique et évidement d'une urgence absolue, d'un combiné téléphonique ? Et pourtant, même si ces conditions de travail nous font sourire, elles n'en étaient pas moins réelles. Ce qui n'a guère changé en revanche est l'état subalterne dans lequel se retrouvent les indigènes qui ont dans un premier temps subi la colonisation avant de devenir à leur tour immigrés dans le monde occidental mais toujours dans des emplois peu qualifiés ou pour le moins dévalorisés ou dénigrés.
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