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Critique de enjie77


« Certes, il m'est arrivé de rencontrer des gens aussi sincères que Tchékhov mais je peux affirmer, sans crainte de me tromper, que je n'ai jamais rencontré un être aussi simple, aussi dénué de toute affectation. »

C'est en ces termes que s'exprime Ivan Alexeievitch Bounine au sujet d'Anton Pavlovitch Tchékov. Vous ne lirez pas une classique biographie sur Tchékhov. Non, Bounine se rappelle, partage avec nous ses souvenirs, son admiration pour Tchékov. Les digressions créent un climat intimiste et ce livre s'apparente plutôt à une « causerie au coin du feu » avec l'auteur.

Bounine nous parle de son ami Tchékhov, de cette amitié privilégiée qu'ils ont ainsi partagée de 1895 à 1904. Cette proximité est troublante, émouvante, deux monstres sacrés, deux frères en littérature malgré la différence d'âge, prennent vie sous nos yeux et nous font entrer de plain pied dans leurs confidences. C'est un hommage à l'amitié, à l'ami, avec pudeur et admiration. Au fil des pages, Bounine nous conte des petites histoires, des anecdotes, des conversations, des extraits de lettre où la tendresse amicale exhale entre ces deux hommes, des échanges sur leurs écrits. Cette façon de communiquer avec nous, cette discussion à bâtons rompus, elle est propice aux révélations. Elle crée un climat bienveillant et nous permet de nous approcher au plus près de la personnalité de Tchékhov. C'est ainsi que j'ai pu découvrir qu'Anton est un homme timide qui n'aime pas les honneurs, chaleureux, humain, sincère, solitaire, pessimiste, possédant un idéal artistique :

« La littérature authentique peint la vie telle qu'elle est. Elle a pour mission la vérité absolue, sans fard ».

Dès ses débuts, le jeune Bounine vénère Tchékhov. Il entre en contact avec ce dernier pour lui demander conseil sur ses premières nouvelles.

« Vous êtes l'écrivain contemporain que je préfère et comme j'ai entendu dire par des gens qui vous connaissent que vous étiez un homme simple et gentil, j'ai jeté mon dévolu sur vous. J'ai décidé de vous adresser le souhait suivant ; si vous avez le temps de jeter un coup d'oeil sur les oeuvres d'un individu comme moi – faites-le je vous en prie. »

Plus tard, les deux écrivains vont échanger sur leurs expériences réciproques, toujours avec cette admiration qu'Ivan Alexeievitch voue à Anton Pavlovitch.

Emporté par la maladie en 1904, Anton ne saura jamais que ce jeune et talentueux Ivan qui lui demande conseil et qui l'admire, deviendra le premier prix Nobel russe en 1933, l'un des plus grands prosateurs russes du XXème siècle et qui nous offrira, à nous lectrices et lecteurs, le merveilleux « La Vie d'Arseniev », écrit dans les années 20 en exil.

Et puis il y a l'Amour comme seuls les russes savent en parler, le décrire, avec ce côté romanesque qui leur appartient et les circonstances insurmontables qui créent tant d'obstacles à sa réalisation. Lidia Alexeievna Avilova, écrivaine, dans ses mémoires, « L'histoire d'amour de ma vie », évoque sa relation amoureuse purement platonique avec Tchékhov. Les extraits de lettres publiés dans ce livre, échangées entre Avilova et Tchékhov, sont d'une beauté émouvante. J'aimerais bien trouver ces mémoires en français rien que pour mon plaisir de lectrice. Les chercheurs actuels doutent de cette relation tandis que Bounine croit en la sincérité de Lidia. le mystère reste entier mais le récit qu'en fait Lidia est sublime.

Néanmoins, Bounine et son épouse Véra, amis de Lidia Alexeievna, ont beaucoup correspondu au cours de leur exil avec celle-ci. Les extraits des lettres montrent combien il est difficile parfois de traverser l'Histoire et quel courage il a fallu à tous ces exilés pour ne pas succomber. A la lecture des lettres d'Avilova, j'ai eu l'impression de relire « Docteur Jivago »!

Ce qui est le plus émouvant c'est qu'à travers le récit de la lutte de Tchékhov contre sa maladie, la tuberculose, Bounine devait se regarder. Il ne peut plus écrire les dernières pages qu'il dicte à son épouse, Véra. IL décède à Paris en 1953. Cette biographie restera inachevée.

« Il n'y a jamais eu d'écrivain de la trempe de Tchékhov ! On a du mal à imaginer tout ce qu'il a pu entreprendre en sept ans alors qu'il était rongé par une maladie à l'issue fatale : le voyage à Sakhaline, la rédaction du compte-rendu à son retour, l'organisation des secours pendant la famine et pendant l'épidémie de choléra, l'exercice quotidien de son métier de médecin, la construction d'écoles, l'aménagement de la bibliothèque de Taganrog, les démarches dans sa ville natale pour élever un monument à Pierre le Grand ». – Page 131


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