C’est ici que Gérard Philipe est enterré. Mes parents l’avaient vu une fois, il y a bien longtemps, au Palais des Papes, à Avignon, jouer le Cid. Dans ses films, j’admirais son allure, sa manière de se tenir droit, sa manière de marcher, ce mélange de jeunesse et de défi. Célèbre pour avoir tué, ou pour incarner un tueur. On montre les tueurs sous les traits de monstres, mais ils sont souvent beaux, rayonnants, tramant les cœurs après eux. Les hommes le nient, les femmes le savent. Je hais les lâches, les mous, je puis admirer celui qui risque, celui qui viole, celui qui tue.
Dans la vie qu’ils m’ont fait mener, on apprend vite. Je crois que je pourrais me prostituer sans problème. Je m’en faisais un monde, ce n’est rien. Les femmes qui font de riches mariages ne sont-elles pas des prostituées ? Autre chose : en deux nuits, j’ai appris à satisfaire deux hommes ensemble, leur arracher la force qui est en eux jusqu’à ce qu’ils tombent de sommeil.
On dit que lorsque l’on coupe la queue d’un lézard, la queue repousse. On dit que si on coupe un serpent par le milieu, les deux morceaux se recollent. Si on coupait la queue d’un homme, je me demande si elle repousserait. Si on coupait un homme en deux, avec une tronçonneuse, il est probable que les deux morceaux ne se recolleraient pas. La preuve, lorsqu’on décapite un homme, la tête ne se recolle plus. J’aurais aimé voir des exécutions à Paris, autrefois. Il paraît que ça se faisait en public, il n’y a pas encore très longtemps, on allait au théâtre, à l’opéra, on soupait en robe longue, les hommes en habit, et on allait voir, au lever du jour, fonctionner la guillotine. Il paraît qu’on entend trois bruits presque en même temps, un bruit sec, qui est le bruit que fait le couperet, un bruit fin, qui est le crissement de la lame dans le cou, un bruit sourd, qui est celui de la tête qui tombe dans le panier.
Cette nuit-là, j’ai dormi sans rêves. On dit que lorsque des événements inhabituels se préparent, il arrive qu’on fasse des rêves prémonitoires.
On dit que les fils sont passionnément attachés à leur mère, mais je n’ai jamais rien senti de tel en Pierre, et si j’avais senti quelque chose de ce genre, je ne l’aurais sûrement pas supporté. Mes enfants ne me ressemblent pas physiquement. Ils ressemblent à leur père. Je n’ai jamais souffert de cela. Je n’aurais pas aimé qu’ils me ressemblent.
Je crois voir une bouche trop rouge, des yeux trop maquillés. Une prostituée ? Je connais ce mot, je sais ce que sont les prostituées, mais j’imagine mal le détail de leur commerce. Je n’aurais sûrement pas pu me prostituer. Je me maquille très peu. Je n’aurais jamais pu supporter tout ce rouge à lèvres sur la bouche.
J’ai toujours eu horreur des conversations qu’ont entre elles les femmes sur les hommes, l’amour, tout ce qui touche au sexe.
Il n’y a qu’à laisser courir la plume. Je suis une femme, je vais me vider comme un sac.