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Citations sur Le Disciple (86)

La sensualité mystique des stances du Lac et du Crucifix, les chatoyantes splendeurs de plusieurs Orientales, me fascinèrent ; mais surtout je fus séduit, à en avoir une fièvre physique, par ce qu’il traîne de coupable dans l’éloquence de l’Espoir en Dieu et dans quelques fragments des Consolations. Ces fuyantes complications du péché dont je vous parlais tout à l’heure, je les pressentis par delà les morceaux choisis de mon livre de classe ; et je commençai d’avoir pour les œuvres des écrivains ainsi devinés une de ces curiosités d’imagination si fortes, presque folles, qui marquent le milieu de l’adolescence. On est sur le bord de la vie. On l’entend déjà sans la voir, comme la rumeur d’une chute d’eau à travers un bouquet d’arbres, et comme ce bruit vous enivre d’attente !…

Chapitre IV. Confession d'un homme
&. II. Mon milieu
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Le hasard voulut que je rencontrasse, au commencement de ma troisième, quelques échantillons de la poésie moderne dans le livre d’auteurs français qui devait servir aux récitations de l’année. Il y avait là des fragments de Lamartine, une dizaine de pièces de Hugo, les Stances à la Malibran d’Alfred de Musset, quelques morceaux de Sainte-Beuve et de Leconte de Lisle. Ces pages, deux cents environ, me suffirent pour apprécier la différence absolue d’inspiration entre les modernes et les maîtres anciens, comme on apprécie la différence d’arome entre un bouquet de roses et un bouquet de lilas, les yeux fermés.

Chapitre IV. Confession d'un homme
&. II. Mon milieu
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La troisième des causes qui concoururent à cette lente désagrégation de ma foi chrétienne fut la découverte de la littérature contemporaine, qui date de ma quatorzième année. Je vous ai raconté comment ma mère m’avait, peu de temps après la mort de mon père, supprimé un certain nombre de livres. Elle ne s’était pas relâchée de cette sévérité avec le temps, et la clef de la bibliothèque paternelle continuait à cliqueter sur l’anneau d’acier de son trousseau, entre celle de l’office et celle de la cave. Le résultat le plus net de cette défense fut d’aviver le charme du souvenir que m’avaient laissé ces volumes feuilletés autrefois longuement, les pièces à demi comprises de Shakespeare, les romans à demi oubliés de George Sand.

Chapitre IV. Confession d'un homme
&. II. Mon milieu
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En même temps, et c’est la seconde d’entre les causes qui m’ont détaché de l’Église, je retrouvais chez les hommes que je considérais alors comme supérieurs la même indifférence à l’endroit des pratiques religieuses que j’avais, tout petit, remarquée chez mon père. Je savais que les jeunes professeurs, ceux qui nous venaient de Paris avec le prestige d’avoir traversé l’École normale, étaient tous des sceptiques et des athées. J’entendais ces mots prononcés par l’abbé Martel, avec une indignation concentrée, dans les visites qu’il rendait à ma mère. Involontairement je réfléchissais, (...) et un esprit de doute grandissait en moi sur la valeur intellectuelle des croyances catholiques.
Cette défiance fut alimentée par une espèce d’ambition naïve qui me faisait souhaiter, avec une ardeur incroyable, d’être aussi intelligent que les plus intelligents, de ne pas végéter parmi ceux du second ordre. Il entrait bien de l’orgueil dans ce désir, je me l’avoue aujourd’hui, mais je ne rougis pas de cet orgueil. Il était tout intellectuel, entièrement étranger à une convoitise quelconque du succès extérieur. Et puis, si je me tiens encore debout à l’heure présente, et dans l’affreux drame de ma destinée, je le dois à cet orgueil premier. C’est lui qui me permet de vous montrer mon passé avec cette lucidité froide, au lieu de courir, comme ferait un vulgaire accusé, aux événements tapageurs de ce drame. Je vois si bien, moi, que les premières scènes de la tragédie ont commencé dès lors dans le collégien pâlot en qui s’agitait le jeune homme d’aujourd’hui !

Chapitre IV. Confession d'un homme
&. II. Mon milieu
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La première fut, me semble-t-il, l’application à mon confesseur de ce terrible esprit critique, faculté destructive de la confiance, qui m’avait dès mon enfance séparé de ma mère. Je continuais à pousser jusqu’aux plus fines, aux plus ténues délicatesses mes examens de conscience, et l’abbé Martel continuait à ne pas même apercevoir ce travail de torture secrète qui m’anatomisait toute l’âme. Mes scrupules lui paraissaient, ce qu’ils étaient en fait, des enfantillages. Mais c’étaient les enfantillages d’un garçon très complexe et qui ne pouvait être dirigé que si on lui donnait la sensation d’être compris. J’en arrivai bientôt à éprouver, dans mes entretiens avec ce prêtre rude et primitif, la sensation contraire, celle de l’inintelligence. Ce n’était pas de quoi empêcher que je ne remplisse mes devoirs religieux. C’était assez pour enlever à ce directeur de ma première jeunesse toute véritable autorité sur ma pensée.

Chapitre IV. Confession de d'un homme
&. II. Mon milieu
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Le grand événement de mon adolescence, qui fut la perte de ma foi, ne date pourtant pas de cette déception. Les causes qui déterminèrent cette perte furent nombreuses, et je ne les comprends nettement qu’aujourd’hui. Il y en eut d’abord de lentes, de progressives, qui agirent sur mon âme comme le ver sur le fruit, dévorant l’intérieur sans que le dehors garde un autre signe de ce ravage qu’une petite tache presque invisible sur la pourpre de la belle écorce.

Chapitre IV. Confession d'un homme
&. II. Mon milieu
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La peur de l’enfer s’exaltait en moi jusqu’à la folie. D’autre part l’abbé Martel déployait la même éloquence à nous célébrer l’importance décisive qu’aurait pour notre salut cette approche de la sainte table, et, par suite, ma crainte des supplices éternels aboutissait à des examens de conscience d’un scrupule infini. Bientôt ces reploiements intimes, ce regard jeté à la loupe sur mes moindres détours de pensée, cette scrutation continue de mon être le plus caché, m’intéressèrent à un degré tel que l’attrait de n’importe quel jeu devint nul à côté. J’avais trouvé, pour la première fois depuis la disparition de mon père, un emploi à ce pouvoir d’analyse déjà définitif, presque constitutif en moi.

Chapitre IV. Confession d'un homme
&. II. Mon milieu
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Il s’y joignait une singulière impression d’effroi qui dérivait de l’enseignement donné par l’abbé Martel, le prêtre chargé de nous préparer à cette première communion. C’était un homme petit et court, de mine apoplectique, avec un regard sombre et d’un bleu dur dans un large et rouge visage. Il avait été élevé dans un séminaire de province, encore pénétré de jansénisme. Ses yeux, quand il nous parlait de l’enfer, dans la tribune des Minimes où il nous réunissait, dardaient des prunelles brillantes et soudain fixes, où passaient des visions d’épouvante, et cette épouvante, il nous la communiquait.

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&. II. Mon milieu
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Je croyais, et par suite mes petits péchés m’apparaissaient comme de vrais crimes, et de les avouer me faisait honte. Je me repentais, et j’avais la certitude que je me relèverais pardonné, avec le délice d’une conscience lavée de ses taches. J’étais un enfant imaginatif et nerveux, il y avait donc pour moi, dans le décor du sacrement, dans le silence froid de l’église, dans cette odeur de caveau et d’encens qui la remplissait, dans le balbutiement de ma propre voix disant « mon père », dans le chuchotement de la voix du prêtre répondant « mon fils », par derrière le grillage, une poésie de mystère que je percevais sans la comprendre encore.

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&. II. Mon milieu
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Les influences diverses que je viens de résumer un peu abstraitement, mais dans des termes que vous comprendrez, vous, mon cher maître, eurent ce premier résultat, inattendu, de faire de moi, entre ma onzième et ma quinzième année, un enfant très pieux. (...) j’étais le à toutes les pratiques de la religion la plus sévère. Je trouve une preuve de ce que je vous ai raconté sur mon goût précoce de la dissection intime dans ce fait que je me sentis, au rebours de mes compagnons du catéchisme, séduit d’une manière presque passionnée par la confession. Oui, je peux dire que durant les quatre années de ma crise mystique d’adolescent, de 1876 à 1880, les grands événements de ma vie furent ces longues séances dans l’étroite guérite en bois de l’église des Minimes, notre paroisse, où j’allais, tous les quinze jours, m’agenouiller et parler à voix basse, le cœur battant, de ce qui se passait en moi.

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&. II. Mon milieu
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