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Critique de de


Contre l'impunité, une soeur se lève pour que des milliers se soulèvent

Des personnalités, des effets médiatiques, des violences faites aux femmes.

« le propos de cet ouvrage tentera donc de rendre compte précisément de ce travail de la justice, en évoquant le fond des dossiers, mais aussi leurs contextes et leurs effets ». Parler des violences et « analyser le discours médiatique qui les entoure et l'impact social ou social qu'il a pu avoir ».

Des violences spécifiques, la pédocriminalité (Roman Polanski), les violences dites conjugales (Bernard Cantat), le viol et les agressions sexuelles (DSK), les violences sexuelles au travail (Georges Tron). Des stratégies et des tactiques d'occultation. Des évolutions dans le traitement médiatique.

Des analyses à partir d'une position investie, « C'est une analyse féministe que nous prétendons mener, qu'elle soit juridique, sociale ou politique. Elle se situe définitivement du coté de l'action militante en faveur de l'amélioration et du progrès des droits des femmes »

Chaque cas est présenté en trois parties : le contexte et des données chiffrées, la description juridique du dossier, l'analyse du discours médiatique autour de l'affaire.

« le cas Polanski »

En France, il n'y a pas d'enquêtes de grande ampleur consacré à l'intégrité sexuelle des mineurs. Les données recueillies sont cependant accablantes, « la pédocriminalité est pourtant un crime massif, banal et surtout silencieux ». L'inceste (en complément possible, Jeanne Cordelier et Mélusine Vertelune : Ni silence ni pardon. L'inceste : un viol institué) et ses conséquences, les séquelles physiques et psychologiques, les viols sur enfants… et « la grande majorité des violences sexuelles sur mineurs ne font jamais l'objet ni d'investigations, ni de poursuite ».

Des enfants et l'« incapacité de consentir », des agressions sexuelles et des viols répandus et de fait acceptés et impunis, l'impuissance « organisée » de la justice et l'apathie collective face à ses crimes.

Roman Polanski a reconnu avoir violé Samantha Geimer, alors âgée de 13 ans. Il est aussi accusé d'autres agressions sexuelles et viols sur mineures. Il s'est soustrait à la justice étasunienne en se réfugiant en Suisse.

Les autrices analysent, entre autres, « les différentes figures du « discours agresseur » », l'usage du mot viol signifié comme « excessif », la défense du cinéaste par une grande partie de l'establishment politique et artistique, l'inversion des « positions victimes-agresseurs », les renversements de culpabilité et de responsabilité, la mise en cause des militantes féministes, l'impunité comme « rémanence de l'ancien régime », ceux qui ne sont pas considérés comme des justiciables comme les autres, ce désir de l'homme comme faisant loi, la sexualisation de très jeunes filles et les accusations de provocation. Dans la culture du viol, la victime devient co-responsable du viol dont elle a été victime.

Je souligne les paragraphes sur les mythes de la création artistique, la séparation irrationnelle entre l'homme et l'artiste. Et si les crimes commis par l'artiste n'enlèvent rien à son oeuvre (« China Town est un film puissant sur l'inceste et le viol… »), cette oeuvre ne saurait ni conférer un statut dérogatoire à l'artiste ni atténuer les crimes. J'ajoute qu'il reste nécessaire d'interroger aussi ce que peut dire une oeuvre à la lumière d'actes d'un artiste (par exemple, Woody Allen).

« le cas Cantat »

Comme le soulignent Yael Mellul et Lise Bouvet, il y a quelque chose d'obscène à parler de « violences conjugales ». Des mots pour l'invisibilisation des victimes et la négation des féminicides. « C'est chez elles que les femmes sont en plus grand danger, c'est dans leur foyer qu'elles sont massivement violées, battues et assassinées ». Derrière le terme et le lieu « privé », une zone de non-démocratie et une zone de non-droit. Ce n'est que depuis 1990, que le viol conjugal est reconnu en France. Antérieurement, le « devoir conjugal » autorisait et valorisait légalement le viol des femmes, comme encore aujourd'hui les mariages forcés.

Les autrices abordent la violence psychologique comme ciment de la violence, les processus d'emprise, les difficultés pour les victimes de s'extirper de ces situations.

« Dans la nuit du 26 au 27 juillet 2003, Marie Trintignant est morte sous les coups de Bertrand Cantat ». le chanteur a été condamné à huit ans de prison pour « meurtre volontaire ». A sa sortie de prison, il reprend la vie commune avec son épouse Kristina Rady. Celle-ci se suicide par pendaison le 10 janvier 2010. Il s'agit bien ici, d'un parcours fait aussi de violences physiques et psychologiques.

Dans les discours médiatiques, il y a d'abord euphémisation des faits, mise en cause de la victime, renversement de culpabilité, et au nom d'un soi-disant égo masculin blessé, « le fait que les hommes, face à des paroles, aient le droit de se déchainer physiquement sur leurs compagnes », la négation de l'existence propre des femmes. Sans oublier, la réduction des violences masculines à des causes individuelles et psychologiques, la construction de thèses sur un « accident » ou une « dégénérence » de dispute pour ne pas aborder la violence systémique exercée par les hommes, la mise en cause des féministes, la déresponsabilisation de l'agresseur au nom de la « passion », le silence sur le sexe de la violence.

Comme l'indiquent les autrices, « le passage à l'acte est donc bien le produit d'une licence sociale, d'une possibilité qui permet le même calcul que pour le viol »

Yael Mellul et Lise Bouvet discutent aussi de « dette et réhabilitation », de conception monétaire de la justice, de droit et de morale, d'apparition publique, « Quand on veut vivre dans la lumière on ne peut empêcher cette lumière d'éclairer les crimes du passé ». Nous devons bien sûr accepter que des hommes soient libres après des crimes commis ou reconnus, « mais qu'ils cessent de se victimiser et de sangloter quand le public leur refuse son audience et son assentiment ».

« le cas DSK »

Les autrices fournissent des données sur les viols, les agressions sexuelles et la prostitution ; elles abordent les « innombrables déqualifications pénales de viols en simples agressions sexuelles », l'impunité comme règle, la peur des victimes de porter plainte, les actes sexuels imposés par la contrainte, la prostitution comme viol tarifié, « on ne le répètera jamais assez que le contraire d'un viol ce n'est pas un rapport sexuel « consenti » mais un rapport sexuel désiré ! », les prostitueurs.

Sofitel à New-York, Dominique Strauss-Kahn, Nafissatou Diallo (voir un certain nombre de textes en fin de note). Tristane Banon et « des faits pouvant être qualifiés d'agression sexuelle ». Hôtel Carlton à Lille, proxénétisme et prostitution, mépris et chosification des femmes.

Je ne reviens pas sur les discours tenus lors de l'arrestation de DSK à New-York (voir le livre coordonné par Christine Delphy : Un troussage de domestique). La relecture de morceaux choisis par les autrices souligne bien la délectation et la connivence masculiniste de bien des intervenants, le déni collectif des violences faites aux femmes, la double morale ouvertement prônée entre hommes et femmes et entre dominants et dominé·es.

A cela, il convient aussi d'ajouter, entre autres, le statut d'exception légale pour la sexualité des hommes (ou de ce que les hommes conçoivent comme de la sexualité), la « véritable loi du silence maintenue en bande organisée », le traitement bien particulier du viol, « le viol est un crime qui bénéficie d'un véritable traitement à part, traitement de grande faveur, où les actes criminels n'en sont plus car ils sont présumés consentis de la part des plaignantes, et cela contrairement au reste des crimes et délits », le déni du continuum de violences sociales mondialisées, les regards vides sur les « individus superflus », l'invention de la « crédibilité » de la victime, l'exploitation de la misère et de la pauvreté des femmes, la chosification des corps, l'argent comme arme du crime et preuve matérielle, l'oubli systématique de la responsabilité des clients-prostitueurs, la présomption d'innocence de l'accusé se transformant en présomption de culpabilité pour les accusatrices, le privé politique et la question de la démocratie (Les autrices citent Geneviève Fraisse : « Mais la démocratie fait rupture dans ce qu'elle rend possible, à savoir l'égalité, l'égalité sociale certes, mais aussi l'égalité entre les femmes et les hommes. Or cela change tout : la notion d'égalité peut s'introduire jusque dans la chambre à coucher. Peu importe que cela soit visible ou pas, ou que le privé se confonde avec l'intime. Penser l'égalité sexuelle est un enjeu important. … Or, la démocratie n'a pas à maintenir une frontière entre privé et public, mais à établir une cohérence entre les deux »).

« le cas Tron »

Yael Mellul et Lise Bouvet soulignent la violence multiforme sur les lieux de travail salarié (« injures, agressions physiques, harcèlement sexuel, agression sexuelle, viol, pornographie, incitation à la prostitution… »), l'oubli encore par la gauche que les « travailleurs » sont pour moitié des « travailleuses » (lire par exemple, Danielle Kergoat : Se battre disent-elles…), la persistance d'espaces masculins ou perçus comme traditionnellement comme masculins, la tolérance sociale envers des agressions sexuelles au travail, l'impunité construite, le déni de gravité et la transformation d'agressions en « mauvaise blague », les rapports de pouvoir et les rapports d'autorité.

Deux anciennes employées de la mairie de Draveil déposent plaintes pour « harcèlement sexuel » à l'encontre de Georges Tron, alors secrétaire d'Etat à la fonction publique et maire de la ville de Draveil. Les autrices résument les arguments présentés à la justice, le non-lieu après deux ans et demi, puis l'infirmation du jugement par la Cour de cassation, le renvoi de M. Tron et Mme. Gruel (adjointe à la culture du maire) devant la cour d'assises sous l'accusation « pour le premier, de viols aggravés, agressions sexuelles aggravées et, pour la seconde, de viols aggravés, complicité de viol aggravé, et agressions sexuelles aggravées, sur les personnes de… ». A ce jour, par suite du report, le procès devrait avoir lieu en octobre 2018. le temps long de la justice pour certains crimes (sans que les accusé·es soient mis·es hors d'état de nuire ou de récidiver)

Les autrices mettent en relief cette affaire avec celles concernant DSK, Yacine Chaouat, Jean-Michel Baylet, Denis Baupin. Elles insistent, une nouvelle fois sur la notion prégnante de bonne victime (si vous êtes « libertine » ou personne prostituée vous ne pouvez pas être réellement violée, un « consentement » donné à certains gestes semble s'étirer indéfiniment à d'autres pratiques), sur l'omerta dans certains milieux, sur les modifications du traitement médiatique (de DSK à Baupin et Tron…), sur la confusion entre « présomption d'innocence » et silence (non)-imposable aux accusatrices, sur le statut de victime, « simple circonstance sociale » ou politique et non essence, sur le refus de subir en silence, « la honte change de camp », ou sur les fantasmatiques « séduction »/« galanterie » et autres fadaises baptisées françaises, sur les sanctions politiques jamais réductibles aux éventuelles sanctions juridiques.

En conclusion, Yael Mellul et Lise Bouvet reviennent sur les « effets du discours social », la nécessité pour pouvoir porter plainte de se sentir soutenue (par les proches et les institutions) et légitimée (par la communauté et les concitoyen·nes), sur l'« incroyable force de libération de la parole des victimes ».

Reste que « le discours-agresseur reste tout de même largement hégémonique dans les locutions sociales et ces hommes semblent jouir d'une impunité totale ; accusés mais jamais condamnés, ils paraissent intouchables… »

Il importe donc de replacer chaque cas (qui ne peut-être réduit à un fait divers) dans les rapports sociaux et leur imbrication (intersectionnalité), ici dans les rapports sociaux de sexe (système de genre) et leur continuum de violences exercé par les hommes (avec la connivence muette ou bruyante des autres hommes) sur les femmes. « Soutenir les plaignantes est exigeant et demande de remettre en question une structure socio-politique millénaire de domination masculine ». Cela ne peut se faire à partir d'un point de vue non-situé (une fantasmatique neutralité). Les apports des analyses féministes permettent de démonter les « effets d'hypnose » ou les « ritournelles » des discours dominants, de remettre au centre du possible l'égaliberté des un·es et des autres, de toustes.

En postface, les autrices parlent d'une « séquence historique inouïe » ouverte par l'affaire Weinstein et les prises de paroles de milliers de femmes.

« La parole d'une femme a le pouvoir de déchirer un silence millénaire et de tracer une percée de lumière dans notre nuit sans fin. N'oublions jamais qu'il suffit d'une allumette pour tout embraser… »

Le titre de cette note est inspiré d'une citation contenue dans la postface.
Lien : https://entreleslignesentrel..
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