AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de tamara29


« Glaise » de Franck Bouysse, c'est âpre comme un café noir corsé qui brûle sous la langue. Comme les vagues qui se fracassent contre les rochers un soir de tempête. Apre et poétique à la fois. On se laisse prendre rapidement par ces phrases qui semblent raisonner à l'esprit des secondes durant, telles une note sur une touche de piano qui vibre encore dans l'air.
Au pied du Puy-Violent, dans le Cantal, été 1914, alors que les hommes partent à la guerre, Bouysse choisit de raconter ceux qui restent, les femmes, les plus jeunes, les plus vieux. S'il nous relate l'attente, l'inquiétude, l'image de l'« absent », il nous parle aussi des autres et de cette vie qui continue.
Et ses histoires sont, à mes yeux, un retour au vrai, à la réalité première, primaire. Les premiers émois et désirs que va connaître le jeune Joseph âgé de 15 ans avec Anna, la violence du voisin Valette (en représentation du Mal), les jalousies entre les voisins fermiers mais aussi l'entraide et l'amitié (avec ce merveilleux Léonard, le sage), la valeur de la terre, de cette terre qu'on aime et qu'il faut posséder pour vivre ou survivre tant bien que mal, l'amour et la haine. Ce serait presque l'enfer et le paradis sur terre, agrémentés de quelques péchés capitaux.
Les mots de Bouysse sont une symphonie à l'état brut, comme mis à nu sous nos yeux, sans mauvais tralala, sans fioriture. Un travail d'orfèvre si soigné qu'il nous laisse un peu groggy, un peu chancelant. L'oeuvre d'un artisan des mots qui nait sous nos yeux. On se trouve tiraillé entre l'envie de lire lentement pour savourer, pour déguster chaque mot, comme un bon St Julien qu'on garde en bouche et l'envie de tourner les pages avec frénésie, désireux de connaître la suite de l'histoire, comme la chaleur entêtante d'un whisky pure malt.
C'est un roman noir qu'on ne veut pas lâcher. Un roman qui nous brûle les doigts, qui -de manière fulgurante- fait naître en nous un mélange d'émotions diverses. Ce roman c'est un bout de campagne, un bon goût de rustique, bien loin des fleurs des champs et des siestes sous un pommier. Ce roman, c'est la terre, c'est le bois dur, puissant et rassurant d'un sequoia ou celui d'un tilleul (Cantal oblige), c'est le bruit et la fureur, c'est le froid mordant de l'hiver en pleine montagne. Ce sont les rides et la peau rêche des travailleurs qui vivent de la terre, c'est le corps qui s'épuise sous le labeur, loin des sourires pincés des gens des villes, loin de la société de consommation parce que là on vit avec le peu qu'on récolte, le peu qu'on a.
L'amour entre Joseph et Anna, leur innocence et pureté nous fait respirer un peu entre toutes ses pages de tension et de noirceur. Alors, on prend conscience de ce paradoxe : celui de se dire qu'il y a de la beauté et de la poésie dans toute cette histoire sombre, de guerre et de sang. Parce que c'est peut-être cela, la nature humaine.
Bien entendu, cette boue dans la campagne du Cantal au début du siècle dernier est comme un parallèle à cette autre boue dans le Nord du pays, dans les Ardennes, la boue des tranchées, les hommes englués dans cette horreur de guerre qui n'allait pas durer, à ce qu'on disait. L'auteur ne décrit jamais les tranchées mais par ce simple parallèle, il nous fait garder en mémoire tout au long de la lecture les images que l'on connaît des poilus. Ceux qui reviendront cassés, écorchés à jamais, ceux qui ne reviendront jamais -comme mon arrière-grand-père mort et enterré dans cette région que je ne connais pas ou peu. Cela fera 100 ans cette année-.
Mais de la boue, de la glaise, on peut aussi faire naître de petits bijoux, des sculptures d'une beauté à l'état pur (celles que Joseph commençait à créer). Cela peut faire aussi un roman puissant. Alors, après « Grossir le ciel », ce roman me confirme que je vais continuer de suivre Franck Bouysse avec grand intérêt et plaisir.
Une lecture telle une bonne claque. Une claque qui nous réveille de notre léthargie de lecteurs, maugréant après des livres si insipides. Et bigre, cela fait rudement plaisir de commencer l'année par une critique d'un roman de cette trempe. Et je croise les doigts pour que ce soit de bon augure pour la suite. Alors je vous souhaite à tous pour cette année des lectures aussi fortes.
Commenter  J’apprécie          487



Ont apprécié cette critique (44)voir plus




{* *}