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Né d’aucune femme de Franck Bouysse
Les retours ne sont jamais sereins, toujours nourris des causes du départ.
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Me souffler une histoire, c`est un peu cela, en effet… Quand j`écris, je me laisse porter par mes personnages, sans savoir à l`avance quels chemins ils vont emprunter. Il y a des années, j`avais lu une brève de journal qui parlait d`une jeune fille vendue par son père. Ce fait divers est resté gravé au fond de ma mémoire, sans vraiment que j`y prête attention. Et un jour, cette phrase m`est venue : « Mon nom c`est Rose. C`est comme ça que je m`appelle. » Je ne savais pas qui était cette jeune fille ni ce qu`il allait lui arriver par la suite, mais je lui ai prêté ma main pour écrire son histoire.
La forme de roman polyphonique s`est imposée, tout simplement : il m`a semblé que pour bien raconter cette histoire, il était naturel de mêler les points de vue. Chaque personnage a en effet son « style » qui découle de sa personnalité, de sa position sociale et chaque voix m`est venue assez naturellement. Rose est extrêmement forte et intelligente mais elle est peu instruite, elle va découvrir l`écriture au fil des pages. Quand j`écrivais les passages en son nom, j`adoptais assez instinctivement une voix, une forme narrative qui lui ressemblait. Elle a un rapport musical aux mots et ignore certains codes de l`écrit comme l`emploi du point d`interrogation par exemple. Le personnage d`Edmond a une expression beaucoup plus brute, tournée quasi exclusivement vers les émotions. Quant au père Gabriel, il s`exprime évidemment comme un lettré. Certains passages sont aussi écrits à la troisième personne car le roman a imposé que j`éclaire quelques zones d`ombre.
Pour raconter cette histoire, il m`a semblé qu`il fallait que je m`éloigne du bruit du monde moderne pour mieux entendre mes personnages. Pas de route, pas de voiture, encore moins de téléphone. Vous parlez d`un roman noir mais Né d`aucune femme est aussi une forme de conte, et donc intemporel. J`ai bien peur que des jeunes femmes, peut-être pas dans notre pays (quoique), vivent encore aujourd`hui des destins comparables à celui de Rose. Je ne cherche pas à témoigner d`un lieu ou d`une époque, ce qui m`intéresse, ce sont les passions humaines. Et ces passions sont universelles et intemporelles.
Dans plusieurs de mes livres revient cette question : comment un personnage va-t-il pouvoir s`élever au-delà ce qu`il semblait prédestiné à être ? Ce sera le Joseph de Glaise, jeune paysan qui modèle en secret de petits animaux en terre, le Georges de Plateau qui emménage dans une caravane pleine de livres et qui après sa journée de travail à la ferme se laisse porter par de grandes œuvres. Et c`est ici Rose, à qui l`on ne cesse de dire qu`elle n`est rien, qui affirme son existence en prenant possession des mots et en racontant son histoire. L`art, pour chacun de ces personnages est un moyen de s`affranchir ou de tenter de s`affranchir de sa condition. Je ne crois pas au destin ou à la prédestination.
En ce qui concerne Rose, privée de tout, il lui reste l`encre et le papier pour donner naissance à quelque chose et compenser ce qu`elle a perdu. Les mots sont pour elle un refuge, un ailleurs. Mais écrire (ou écrier comme elle le dira) est surtout la seule et unique manière qu`elle a de lutter contre l`oubli, son ultime arme. Car jamais ce personnage ne s`avouera vaincue, elle ne cessera d`être dans la résistance et le combat. Pour Rose il est moins question de transmettre que d`exister.
Je pense que pour ceux qui ont déjà lu Né d`aucune femme, l`incarnation parmi mes personnages de l`ogre et de la sorcière est assez évidente. Jamais je n`avais poussé ce thème aussi loin et je crois que je suis arrivé à une limite extrême. Il s`agissait en effet de parler de la lutte contre le mal, qui pourrait être aussi comme je l`ai découvert dans ce roman une lutte de la féminité contre le mâle.
L`île au trésor de Robert Louis Stevenson.
Lumière d`août de William Faulkner.
Le bruit et la fureur de William Faulkner.
Au-dessous du volcan de Malcolm Lowry.
« Toute œuvre achevée est le masque mortuaire de son intuition. » Walter Benjamin.
L`homme qui rit de Victor Hugo.
Extrait du livre audio "L'Homme peuplé" de Franck Bouysse lu par Philippe Allard. Parution numérique le 17 août 2022. https://www.audiolib.fr/livre/lhomme-peuple-9791035411398/
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Né d’aucune femme de Franck Bouysse
Les retours ne sont jamais sereins, toujours nourris des causes du départ.
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Grossir le Ciel de Franck Bouysse
Pour avoir réfléchi à la question plus d'une fois, ça n'intéressait pas Gus de vieillir autant, à se demander ce qui pouvait bien rester lorsque les jambes ne vous tenaient plus, que les yeux ne voyaient plus clair, et quand on était pris par la rouille, sans espoir de changer les choses. Il y pensait souvent, à la vieillesse, la vraie, celle qui privait doucement les gestes qu'on faisait facilement, puis qu'on ne pouvait plus faire, tout ce qui se passait avant de rejoindre le cimetière. Une des rares choses qui faisait vraiment peur à Gus.
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Né d’aucune femme de Franck Bouysse
... être lâche, c’est pas forcément reculer, ça peut simplement consister à faire un pas de côté pour plus rien voir de ce qui dérange.
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Né d’aucune femme de Franck Bouysse
Les mots, j'ai appris à les aimer tous, les simples et les compliqués que je lisais dans le journal du maître, ceux que je comprends pas toujours et que j'aime quand même, juste parce qu'ils sonnent bien. La musique qui en sort souvent est capable de m'emmener ailleurs, de me faire voyager en faisant taire ce qu'ils ont dans le ventre, pour faire place à quelque chose de supérieur qui est du rêve. Je les appelle des mots magiciens : utopie, radieux, jovial, maladrerie, miscellanées, mitre, méridien, pyracantha, mausolée, billevesée, iota, ire, parangon, godelureau, mauresque, jurisprudence, confiteor, et tellement d'autres que j'ai retenu sans effort, pourtant sans connaître leur sens. Ils me semblent plus facile à porter que ceux qui disent. Ils sont de la nourriture pour ce qui s'envolera de mon corps quand je serai morte, ma musique à moi. C'est peut-être ce qu'on appelle une âme. p 268
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Né d’aucune femme de Franck Bouysse
Le silence me pesait pas et j'aurais pu jurer que c'était le seul endroit où se sentir bien, si jamais le silence peut être un endroit où se réfugier quand on se sent pas bien avec quelqu'un, ou peut-être trop bien.
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Grossir le Ciel de Franck Bouysse
Il se fit réchauffer du café dans une casserole, patientant devant le fourneau pour ne pas qu'il bouille. La mémé disait toujours qu'un café bouillu, c'était un café foutu, le genre de leçon qui ne s'oublie pas. Gus pensait que c'était décidément une drôle de journée, avec tous ces souvenirs qui s'amenaient, comme des vols de corneilles sorties du brouillard. Des souvenirs dont on ne sait jamais où ils mènent, ni même si ça fait du bien de les avoir, mais qui ressurgissent et s'imposent, sans crier gare.
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Plateau de Franck Bouysse
J'aime pas l'hiver qui se balade sous les vêtements et qui te crevasse les mains, j'aime pas le printemps qui te baratine en te promettant monts et merveilles, j'aime pas l'été qui déverse des nuées de bestioles et qui brûle les promesses, et j'aime pas non plus l'automne qui repeint le décor avec des belles couleurs pour le supprimer après. J'aime pas les saisons d'ici. Y a jamais rien qui change durablement, rien à espérer que de dérouler une corde que d'autres ont enroulée pour nous, rien qui vaille la peine de se battre. On gagne jamais, on attend que ça se passe.
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Né d’aucune femme de Franck Bouysse
C’est tout le problème des bonnes gens, ils savent pas quoi faire du malheur des autres. S’ils pouvaient en prendre un bout en douce, ils le feraient, mais ça fonctionne pas comme ça, personne peut attraper le malheur de quelqu’un, même pas un bout, juste imaginer le mal à sa propre mesure, c’est tout.
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Né d’aucune femme de Franck Bouysse
Peut-être aurais-je dû me faire moine, pour ainsi moins endurer leur contact, les tourments de leur âme. Je me serais baigné dans mon propre silence, occupé à prier, méditer, lire les textes sacrés, examiner ma conscience au creux du grand mystère. P16 |
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Grossir le Ciel de Franck Bouysse
Les apparences ont la vie dure et on leur fait dire aussi ce qu'on veut bien.
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![]() | bsh
le 03 janvier 2020
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1 réponses
Franck Bouysse / Grossir le Ciel : interrogation(s) sur la fin du roman
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Qui a écrit 1984 ?