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Critique de Colchik


Ce roman est tout sauf frivole. le ton sarcastique de William Boyd est utilisé ici pour une dénonciation au vitriol de la guerre.
1914, Afrique-Orientale allemande, sous l'immense ciel de Dar es-Salaam, les colons allemands, britanniques ou américains sont encore des voisins venus se ravitailler à la ville avant de devenir bientôt des ennemis obéissant aux règles impitoyables de la guerre. William Boyd a choisi d'évoquer le premier conflit mondial sur la terre africaine, dans un étrange théâtre de l'absurde dont le burlesque touche rapidement au cauchemar.
Tout le monde s'accorde à penser que la guerre sera brève, que chacun retrouvera bientôt sa ferme, sa famille, sa patrie. Mais, dès le débarquement des régiments coloniaux britanniques, elle commence à faucher les combattants avec l'efficacité des moyens de destruction modernes. Gabriel Cobb, jeune capitaine d'un régiment indien, est gravement blessé dès son premier jour de combat et est évacué vers un hôpital militaire allemand, dans une bourgade éloigné du front, Nanda. Quant à Temple, le propriétaire américain d'une plantation de sisal au pied du Kilimandjaro, il est chassé de sa ferme par son voisin allemand, von Bishop, qui a pris la tête d'une troupe d'askaris, les soldats indigènes de la colonie allemande. Loin du théâtre des opérations, Félix Cobb, le jeune frère de Gabriel, ronge son frein dans un Oxford vidé de sa population estudiantine par la guerre. Il a cherché à s'engager en vain, sa myopie l'a fait réformer. Peu à peu, il devient sensible au charme de Charis Cobb, la jeune épouse de son frère dont la lune de miel a été interrompue par la déclaration de guerre. La liaison qu'entament Félix et Charis s'accompagne d'un sentiment profond de culpabilité au fil des mois. C'est probablement parce qu'elle se découvre enceinte que Charis se noie dans l'étang de la propriété familiale. Félix sait qu'elle a écrit à son mari avant de mettre fin à ses jours et décide de retrouver Gabriel en Afrique avant qu'il ne reçoive la lettre qui lui apprendra la trahison des siens. Gabriel a été soigné de longs mois par Liesl, la femme de von Bishop. Peu à peu, il est ému par cette femme placide qu'il côtoie chaque jour dans l'hôpital de fortune où elle a repris son métier d'infirmière. Les années passent et il s'abandonne aux tâches monotones que lui permet sa captivité pour le seul plaisir de travailler avec Liesl. Félix, enfin engagé, est rattaché à une unité nigériane, mais il se voit écarté des combats par plusieurs coups du sort : la saison des pluies a isolé pendant des mois son unité du reste des troupes britanniques, puis l'état lamentable dans lequel elle se trouve l'empêche de partir au front. Quand il arrive à retrouver Gabriel avec l'aide de Temple, son cadavre gît dans la brousse et sa tête décapitée a été enfouie à la hâte. La troupe de ruga-rugas de von Bishop a abattu le fuyard accusé d'espionnage sur un malentendu. Pour Félix et Temple, il n'y a plus qu'un but : éliminer von Bishop, responsable de la mort du frère de l'un et du saccage de la ferme de l'autre. Mais, la fin de la guerre arrive et quand Félix retrouve von Bishop à Dar es-salaam, il a succombé à la grippe.
le livre de William Boyd montre comment la guerre anesthésie les sentiments humains, dénoue les liens d'amitié et d'amour, bouleverse les solidarités anciennes. Ses portraits d'officiers sont particulièrement mordants. de l'officier confit dans l'alcool à celui qui sollicite des avis qu'il négligera, du calamiteux Wheech-Browning qui provoque par sa bêtise la mort de ceux qui l'approchent au dément Bilderbeck, major du renseignement, la galerie des militaires bouffons et irresponsables est illimitée. Leurs hommes sont jetés dans la grande boucherie de la guerre comme s'il s'agissait de soldats de plomb. le sort fait aux troupes indigènes est impitoyable : régiments de rajpoutes, troupes indiennes, askaris, ce sont de la chair à canon qu'on envoie au feu. Quand ils ne sont pas fauchés par les mitrailleuses, ils sont abattus d'une balle si la terreur les font déserter le champ de bataille, ou ils sont décimés par la dysenterie ou la mouche tsé-tsé. La colonisation révèle son autre visage, non plus économique, mais stratégique : faire se battre des hommes pour défendre les intérêts de pays qui les asservissent.
William Boyd montre que l'horreur des tranchées trouve son pendant sur la terre africaine. Des monceaux de cadavres d'animaux signalent la descente aux enfers de Félix quand il arrive au camp de Kibongo. La saison des pluies coupe toute route au ravitaillement et les porteurs tombent comme des mouches, victimes de la faim et de la vermine qui ravagent l'unité perdue, encore une fois, à cause de l'orgueil et de l'imprévoyance d'un officier.
Les deux amours qui naissent de la guerre sont eux aussi contaminés par sa violence. Les victimes en sont Charis et Gabriel dont la lune de miel a été interrompue par le début du conflit. Aussi démunis l'un que l'autre pour bâtir leur couple, la guerre leur donne à voir une plus belle image de l'amour, mais qui leur sera fatale. Dans l'Angleterre patriote où des groupes de femmes arpentent les rues pour distribuer des plumes blanches à ceux qu'elles jugent lâches, une femme qui a son mari au front ne peut avoir un enfant illégitime. Charis choisit la noyade pour échapper à la culpabilité et au déshonneur qui souillerait le nom des Cobb (Félix étant le père de son enfant). Gabriel, lui, découvre la sensualité sous les traits de la plantureuse Liesl, femme forte, rassurante, qui fume comme un pompier et avale la nourriture avec un appétit insatiable. Cette femme qu'il dévore des yeux provoquera sa perte puisque c'est en l'épiant dans son jardin qu'il sera pris pour un espion. Condamné à s'enfuir, il sera décapité par ses poursuivants, les terribles ruga-rugas. Tout est broyé par la guerre, même les choses les plus pures.
Mais les hommes n'en oublient pas pour autant leurs intérêts. Temple, le colon américain, est obsédé par son décortiqueur, formidable machine qui a disparu après l'occupation de sa ferme par les hommes de von Bishop, son voisin. Il est persuadé que von Bishop lui a volé son bien. Ce décortiqueur pourrait bien symboliser à lui seul la question des réparations. Comment accepter la perte de son outil de travail ? Et comment réparer cette perte ? Une chose matérielle peut-elle justifier le sacrifice de sa vie ? Jusqu'où demander réparation ? La guerre de Temple tourne à la vengeance personnelle, mais sa proie lui sera enlevée par la grippe espagnole.
le livre de William Boyd est noir, très noir, sous ses dehors de grand carnaval. Il nous livre une réflexion sur la guerre qui brûle bien après que l'on ait tourné la dernière page du livre.
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