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Critique de Foxfire


Parmi les textes matriciels des dystopies, tout le monde connait les essentiels « nous autres » de Zamiatine (1920), « le meilleur des mondes » d'Huxley (1932), 1984 d'Orwell (1948) et « Fahrenheit 451 » de Bradbury (1953). En revanche, « Kallocaïne » de la suédoise Karin Boye, paru en 1940, est bien moins connu. C'est pourtant une très bonne dystopie, pertinente et intéressante.

« Kallocaïne » présente bien des aspects classiques de la dystopie, on y retrouve les archétypes du genre : état totalitaire, embrigadement, surveillance généralisée. de ce point de vue, le roman est bien foutu mais n'a rien de particulièrement remarquable, certaines dystopies vont plus loin dans la précision de la peinture du système totalitaire où elles placent leur récit. Là où le roman de Boye a vraiment un ton singulier c'est dans son versant psychologique. En effet, là où les autres dystopies classiques ne faisaient que survoler cet aspect, « Kallocaïne » pousse très loin l'introspection, on ne suit pas les pas du personnage, on est littéralement dans sa tête. du coup, le roman fait la part belle au côté intime. La relation entre Kall, le héros, et sa femme n'est pas simplement un aspect annexe, accessoire du récit, il en est parfois le moteur. Les problèmes de couple de Kall expliquent bon nombre de ces réactions et ont finalement des conséquences d'ordre général. C'est assez inattendu et original comme regard. La plupart du temps, lorsque les dystopies s'intéressent à l'aspect intime des personnages, c'est pour illustrer le fait que le système politique va gangréner jusqu'à la sphère personnelle des gens, introduisant méfiance et dénonciations au coeur du foyer. Cet aspect est présent dans « Kallocaïne » mais en ce qui concerne son héros, Boye va plus loin, les affres personnelles de Kall influent sur la politique qui elle-même va ensuite renforcer sa suspicion, une sorte de cercle vicieux en somme.
J'ai trouvé très originale également, la façon dont est évoquée une forme de dissidence très particulière, instinctive, quasi inconsciente. J'ai trouvé vraiment saisissant ce passage où Boye décrit la soirée où des gens se sont retrouvés pour pratiquer un rituel étrange : un des protagonistes s'allonge et prétend dormir tandis qu'un autre se saisit d'un couteau et… ne fait rien. Un rituel qui est basé sur la confiance, sentiment qui n'existe plus dans cette société. Ce cérémoniel vient aussi rappeler dans cette société aseptisée et scientifiquement organisée combien l'Homme a besoin de magie (spiritualité, religion, croyance… appelez ça comme vous voulez) et que ce besoin se matérialise de façon instinctive, naturelle, sans véritable préméditation, sans volonté subversive. La subversion ne prend pas ici la forme de revendications, de propos argumentés, la dissidence se situe dans quelque chose d'en apparence plus anodin. Plusieurs fois dans le roman est évoquée une communauté vivant en dehors de la ville à la manière des anciens, cette communauté qu'on ne visitera jamais a des allures de légende et cette évocation révèle là aussi le besoin de mythes fondateurs. J'ai vraiment trouvé cet aspect du roman très intéressant.

« Kallocaïne » est un roman puissant et très efficace qui mériterait le même statut d'oeuvre fondatrice que les romans d'Huxley, Orwell, Zamiatine et Bradbury.
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