Certaines choses sont immuables à Terezin ; les disputes dans les files d’attente quand on distribue la soupe, la puanteur des latrines, les regards envieux des vieillards quand ils nous voient manger. Mais quand la lumière du matin éclaire doucement la ville, quand le soleil vient se refléter sur une vitre, que le vent joue avec un morceau de papier en le faisant tournoyer en l’air, qu’un ami vous salue dans la rue et que le ciel est bleu et immense au-dessus de Theresienstadt, on arrive parfois à oublier l’horreur et à se sentir tout simplement heureux.
Est-ce que ce serait du vol? Est-il répréhensible de voler la nourriture d'un mort?
Les limites du macabre sont repoussées pour un étudiant en médecine dès sa première année d'études. Il s'habitue à voir des morts. Il ne réagit plus à la vue d'un bras coupé ou au fait de tenir un coeur humain entre ses mains. Il peut rester devant une table de dissection, penché sur un vagin éclaté ou un ganglion lymphatique. Le macabre devient son lot quotidien.
A Theresienstadt c'est la même chose. La promiscuité, la misère, les rêves perdus et le désespoir constituent des tableaux macabres que je n'aurais jamais cru regarder dans une vie comme la mienne.
Pendant les premières semaines, j'ai le sentiments d'être devenu un personnage dans une représentation de l'enfer par Jérôme Bosch. Mais les jours passent, et peu à peu les teintes du grotesque se fanent. Theresienstadt devient la norme. Un quotidien avec sa routine, ses repères, ses schémas, son indifférence.
Je lui montre mon vieil album de photographies. Dans les moments fébriles que j'avais passés dans mon appartement, me préparant à fuir vers la Suède, cet album avait été la seule chose importante qu'il me soit venu à l'idée d'emporter.