Citations sur Les mémoires de la Méditerrannée : Préhistoire et Antiquité (14)
Créateurs essentiels de la première Italie, les Étrusques ne sont pas des colonisateurs comme les autres. Furent-ils même des colonisateurs ? Ils posent un problème passionnant, obscur malheureusement. Malgré le progrès des connaissances, rien ne dit que le mystère s’éclaircira un jour tout à fait.
Mais en ces époques lointaines le langage essentiel des civilisations se situe de toute évidence sur le plan religieux. La mythologie mésopotamienne ou hittite, les poèmes d’Ugarit donneraient d’innombrables exemples de contaminations étranges. Dieux et mythes se déplacent, en même temps que les biens culturels les plus ordinaires, d’un pays à l’autre du Proche-Orient.
Certes, les plantes, les animaux, les hommes ont souffert de ces colères climatiques, toujours de longue durée. Mais l’homme a une « tendance à l’insoumission » et tous les êtres vivants réagissent, s’adaptent souvent tout en narguant les contraintes, voire déménagent et le tour est joué.
L’eau salée est en retard sur les miracles de l’eau douce des fleuves. C’est la domestication du Nil, du Tigre, de l’Euphrate qui est responsable de l’Égypte et de la Mésopotamie, ces monstres économiques, culturels et déjà politiques avant même le IIIe millénaire.
Le drame des cités grecques, c’est un peu celui des villes de la Renaissance italienne. Aucune – ni Florence, ni Venise, ni Gênes, ni Milan – n’a su, n’a pu faire l’unité de l’Italie. Athènes, en 404, ouvre ses portes à Lysandre. Mais ni la victoire de l’anachronique Sparte, ni la Thèbes éphémère d’Épaminondas ne sauront, elles non plus, construire une unité grecque. Le terme d’un tel processus, c’est l’arrivée du Barbare, du Macédonien. Tout l’a préparée de fort loin.
C’est en Grèce d’abord, écrit Louis Gernet, que se sont dessinés les cadres de la réflexion philosophique, et c’est un lieu commun d’observer que la position des problèmes essentiels n’a pas tellement changé depuis.
Sur l’immense passé de la Méditerranée, le plus beau des témoignages est celui de la mer elle-même. Il faut le dire, le redire. Il faut la voir, la revoir. Bien sûr, elle n’explique pas tout, à elle seule, d’un passé compliqué, construit par les hommes avec plus ou moins de logique, de caprice ou d’aberrance. Mais elle resitue patiemment les expériences du passé, leur redonne les prémices de la vie, les place sous un ciel, dans un paysage que nous pouvons voir de nos propres yeux, analogues à ceux de jadis. Un moment d’attention ou d’illusion : tout semble revivre.
Je crois que les cités grecques ne seraient pas nées sans la récession du XIIe siècle avant J.-C. Elles s'enfantent durant l'âge noir qui suit l'invasion dorienne, car ce qui s'est brisé avec la chute de Mycènes, c'est l'Etat palatial, ses grands seigneurs, ses scribes tout-puissants, un Etat glouton, comme tant d'autres au second millénaire.
Rome victorieuse, la Méditerranée continue d’être elle-même. Diverse selon les lieux et les âges, elle reste de toutes les couleurs imaginables, car rien, en cette mer d’antique richesse, ne s’efface sans laisser de trace ou sans revenir, un jour ou l’autre, à la surface. Mais en même temps le Mare Nostrum, dans la mesure où des siècles paisibles y multiplient les échanges, tend vers une certaine unité de couleur et de vie. Cette civilisation en train de se construire est le grand personnage à distinguer entre tous les autres.
La géographie, en l’occurrence, est un outil merveilleux d’explication, à condition de ne pas la charger d’un déterminisme élémentaire. Elle clarifie, elle pose les problèmes ; elle ne les résout pas. L’homme et l’histoire suffisent déjà à tout compliquer, à tout brouiller.