Parler de
Jacques Brel, comme parler de
Georges Brassens, relève un peu de la gageure. D'abord parce que c'est un personnage public d'une importance énorme, qu'il convient d'aborder avec une infinie humilité. Et puis ensuite, parce que, ces gens-là (comme dit Brel), ça relève de l'intime, du personnel. On a tous quelque chose de l'un ou de l'autre, ou des deux, et leurs
chansons nous ont accompagnés, et nous accompagnent encore, tout au long de notre vie.
Les
chansons de
Jacques Brel, ou ses poèmes, car elles sont les deux à la fois, sont aisément reconnaissables : elles lui ressemblent. Les
chansons de Brassens, chantées par d'autres, deviennent universelles. Les
chansons de Brel, chantées par d'autres que lui, restent des
chansons de Brel. Parce que
Jacques Brel est tout entier dans ses
chansons, même dans les moins personnelles.
L'écriture, d'abord, y tient la plus grande part. Brel est un écorché vif, qui fait passer ses émotions dans les paroles de ses
chansons : l'amour, la haine, les comptes qu'il règle avec les femmes, avec la religion, avec la politique, et surtout sa plus grande cible, la bêtise, tout ce que dit Brel vient de lui, de son vécu, de ses pensées, de ses obsessions, de ses fantasmes. Il sait trouver les mots, les ordonner en une expression à la fois familière, poétique et souvent très forte.
Cette expression ensuite se traduit vocalement et gestuellement. Car on ne peut pas parler de Brel qu'à travers ses textes (on pourrait le faire, en n'analysant que leur côté poétique ou littéraire, ou à la rigueur leur impact sur les auditeurs). Car occulter l'homme de scène qu'il fut serait gommer la moitié de son personnage : Brel, c'est une voix et une gestuelle (écoutez et voyez-le chanter sur scène Ces gens-là !)
Et n'oublions pas l'homme qui fait un avec l'artiste : celui qui en constante recherche d'absolu (que ce soit en amour ou en autre chose) celui qui est tiraillé entre misanthropie (et plus encore misogynie) et humanisme, celui qui croit au Ciel et celui qui n'y croit plus, celui qui, celui que, celui dont... Brel est une infinité de personnages à lui tout seul, et contradictoires, en plus, mais n'est-ce pas notre lot à tous ? Brassens représente l'Homme dans son universalité, Brel le représente dans son unicité.
Si vous avez l'occasion, cherchez sur internet la rencontre de Brel, Brassens et Ferré le 6 janvier 1969. Les trois poètes échangent sur leur parcours, leur vision de la vie, de leur art, du public... un documentaire indispensable.
J'ai bien conscience que cette chronique touchera mieux les gens qui comme moi ont vécu lorsque ces soleils nous éclairaient. Mais , jeunes gens, prenez la peine de les écouter ces idoles d'un autre temps, elles ont encore beaucoup de choses à dire, à vous, à nous et à ceux qui arrivent derrière vous...