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Critique de Woland


II - Comment imaginer en effet qu'un esprit puisse être tenté par une figure de femme très charnelle que "l'autre dieu" lui promène sous le nez afin de le convaincre de s'incarner ? (P. 88) Même si la chose nous est affirmée par Guilhem Bélibaste, l'un des derniers Cathares, et simple berger à l'origine, la contradiction nous heurte d'autant que, à la page suivante, l'auteur ajoute : "Délivrée du mal, la créature de Dieu (ange, esprit ou âme) est libre. Libre d'assumer sa véritable nature, qui est bonne ..." Si l'âme est bonne par nature, elle ne saurait être tentée, tout au moins dans son élément originel, par l'idée de pouvoir copuler avec une femme bien réelle. Certes, pour nombre de prédicateurs cathares, le mal s'appelait avant tout goût du pouvoir (et Guilhem Bélibaste fait un peu, en cette matière, figure de primaire obsédé par la femme, lui qui assurait aussi, seul entre tous, qu'il était préférable pour une âme que sa dernière incarnation prît naissance dans un corps masculin ...)

On m'objectera que, chez les Cathares, les femmes aussi pouvaient prêcher et donner le consolament, étape que la très misogyne Eglise romaine et apostolique n'a toujours pas eu le courage de franchir. S'il y avait des Bons Hommes, il existait aussi des Bonnes Femmes. Mais déjà, celles-ci (sauf dans les temps d'errance) se tenaient plus souvent chez elles, dans ce que l'on appelait des Maisons de Vie. Elles y travaillaient (sans doute des travaux d'aiguille, enfin tout ce qui est spécifiquement féminin) et prêchaient ceux qui venaient les visiter. A l'inverse, les Bons Hommes prenaient la route et allaient prêcher à droite et à gauche. Certes, même de nos jours, sillonner ainsi les routes est plus dangereux pour une femme que pour un homme. Bons Hommes et Bonnes Femmes allaient toujours par deux mais deux femmes, face à des routiers de l'époque, n'avaient pas plus de chance qu'une seule. Maintenant, deux hommes isolés sur une route, en dépit de leur force physique, ne se trouvaient-ils pas dans le même cas ?

Car, rappelons-le, les Bons Hommes étaient membres du clergé cathare. Plus qu'aux simples croyants, il leur était sévèrement interdit de tuer ou de faire le mal. Mais lorsqu'ils étaient attaqués, devaient-ils se laisser frapper sans se défendre ? ... Sur ce point, Anne Brenon ne s'étend pas. Lorsqu'elle évoque la fin des Cathares et l'époque des luttes armées, elle nous laisse entendre que les chevaliers et combattants cathares avaient évidemment le droit de se défendre contre leurs adversaires. Vu les circonstances, on se doute bien que la parole était laissée aux épées, aux masses d'arme et aux bassins d'huile bouillante balancée des hauteurs des remparts. Ce qui, d'ailleurs, n'a rien que de très normal.

Mais alors, en quoi la foi cathare diffère-t-elle sur ce point de la foi romaine ? le Pape justifiait les croisades contre les hérétiques, contre les Albigeois par exemple, par la défense de la foi. Si le terrible mot que l'on prête à Simon de Montfort, "Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens !" est vraisemblablement apocryphe, la phrase dit bien ce qu'elle veut dire ... Seulement, de l'autre côté, les Cathares justifiaient leurs propres tueries par le même argument : la défense de la foi. La leur, bien sûr. Restant entendu que chacun des deux camps (on est tenté d'écrire "comme d'habitude") affirme posséder la vraie foi (je me suis toujours demandé à quoi ça pouvait bien ressembler ... Wink ) Bien que l'on ne puisse me suspecter de sympathie envers l'Eglise romaine (Dieu m'en préserve !), je ne pense pas qu'on puisse taxer d'hypocrisie et de cynisme les seuls tenants du camp "catholique". Une fois exclus de leur groupe les politiques et politiciens de toutes sortes, la majorité d'entre eux croyaient réellement, eux aussi, agir pour le "bien" des hérétiques.

Ce livre, que je recommande, je le répète, à tous ceux que passionnent et intriguent la religion cathare comme ce grand bouillonnement spirituel issu de l'An Mil et qui, cinq siècles plus tard, aboutira à la Réforme, n'a qu'un seul défaut : il passe sous silence le côté sombre des Cathares. Ceux-ci n'étaient pas des anges pas plus que l'Inquisition, en face, n'était le Diable incarné. Tous étaient des hommes et, malheureusement, là où les hommes parlent religion, finit toujours par apparaître le fanatisme. Si Rome et ses représentants n'en furent pas exempts, les Cathares n'y échappèrent pas non plus. : Et j'aurais aimé, c'est vrai, que le beau livre d'Anne Brenon en parlât un peu.
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