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Critique de kielosa



+++++++ "MOI, BABOUIN BLANC +++++++

Témoignage exceptionnellement amer d'un colon flamand au Congo belge, peu avant l'indépendance de cet État africain, 80 fois la taille de son royaume colonisateur. Cette indépendance violente, dans le sang en 1960, a marquée et continue à marquer les relations délicates et parfois pénibles entre les 2 pays. Après la Seconde Guerre mondiale à peu près toutes les familles belges, tant wallonnes que flamandes, avaient quelqu'un qui était allé tenter sa chance dans ce pays énorme sur l'équateur. Ma famille ne faisait pas exception à la règle et je me souviens très bien des lettres fantastiques que mon cousin Jacques, infirmier à Bukavu (pas loin du tristement célèbre Rwanda), écrivait à sa mère, ma tante, une veuve, de qui il était le fils unique. Comme gosse j'étais fasciné par ses descriptions de la brousse et la richesse de la faune et flore centrafricaine.

C'est un tout autre récit que nous offre l'auteur, Paul Brondeel, du départ de son héros Adriaan Cafmayer avec sa jeune épouse Josiane, âgée de 21 ans, en 1954 à Élisabethville, l'actuelle Lubumbashi, au sud du pays et au nord de la république de Zambie, en Afrique australe.

Étonnant témoignage de quelqu'un qui s'est rendu dans un pays dont il avait horreur uniquement pour le fric : pour son salaire, d'ailleurs dérisoire, de fonctionnaire des douanes. Adriaan n'est pas un personnage sympa, loin de là. Il est peu sûr de lui, raciste, méprise les noirs qu'il trouve sales et dont il a secrètement peur. Contrairement à sa Josiane, tout lui y déplaît foncièrement : la chaleur, la mentalité des colons, leurs soirées et propos, son boulot administratif, ses collègues (surtout wallons) et ses chefs. Ses expériences il les note dans un style très direct, sans fioritures et parfois même à la limite du vulgaire.

Paul Brondeel se trouve tout à fait à part dans la littérature dite de la colonisation. Il est loin des clichés du bon blanc qui va sacrifier son existence pour éduquer et aider ses pauvres noirs primitifs. Comme il est étonnamment honnête et des fois cru dans son langage, ce roman donne un tout autre aperçu de la réalité coloniale. Son roman, largement autobiographique, a été publié pour la première fois en 1970, a connu un succès immédiat (30.000 exemplaires vendus en un temps-record), est resté ensuite longtemps virtuellement introuvable et a finalement été réédité cette année-ci. Ce petit ouvrage de 136 pages n'a jamais été traduit, ni en Français, ni en Anglais. J'ignore si c'est à cause du style et de la langue sans ménagement. Toujours est-il que l'auteur a eu le courage de rectifier le tir en ce qui concerne la présence belge en Afrique noire.

Malheureusement, Paul Brondeel (1927-2009) est resté à l'ombre d'un autre colon-écrivain flamand, Jef Geeraerts (1930-2015), parti là-bas comme lui à la même époque et qui a sorti 2 livres, partiellement autobiographiques, qui ont eu un succès monstre : "Je ne suis qu'un nègre" en 1962 et 6 ans plus tard "Black Venus", best-seller traduit en Français par Marie Hooghe. Ce dernier ouvrage a réussi à choquer la Flandre catholique par les prouesses sexuelles de l'auteur avec des femmes noires.

Autres romans de désillusion et déception au Congo sont de la main d'une infirmière et écrivaine belge flamande, Mireille Cottenjé (1933-2006). "Journal de Carla" sorti en 1968 et traduit en Français et "Lava" publié en 1973, mais hélas pas traduit.

Pour ce qui est de la vie des coloniaux belges au Congo, des 3 auteurs cités ici c'est incontestablement Paul Brondeel qui est le plus près de la réalité historique, dans cet ouvrage, sous-titré "Histoire d'une aliénation" ("Het verhaal van een vervreemding"), et "Journal d'une nuit" ("Dagboek van een nacht"), édité en 1967.

Cet ouvrage est également le récit d'une grande histoire d'amour : d'Adriaan pour sa belle et séduisante épouse Josiane. Un mariage et une passion qui se soldent pour lui par un échec cuisant. Brondeel est bel et bien parti avec sa jeune épouse, Christiane Hubaut, qui avait 4 ans de moins que lui, mais j'ignore dans quelle mesure les destins de Josiane et Christiane se couvrent.

En relisant mon billet, j'ai l'impression d'avoir causé du tort à l'auteur en décrivant sa langue. Fait est qu'il a été un fervent admirateur d'Albert Camus et que son livre a été sérieusement influencé par "L'étranger" du grand Nobel français. Une autre oeuvre qui l'a fort influencé est la pièce de théâtre de John Osborne "La paix du dimanche" ou "Look Back in Anger" de 1956.

Dans une brève postface, le jeune essayiste, Wout Vlaeminck, estime, à mon avis à juste titre, qu'il est grand temps d'enlever la poussière sur cet auteur dont l'oeuvre est dangereusement en voie d'oubli. Tout comme lui, j'espère que "Moi, babouin blanc" (ma traduction, sous réserve) permette une redécouverte de l'oeuvre de Paul Brondeel et pourquoi pas une version française ?
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