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Critique de berni_29


Georges Bataille a écrit à propos de ce livre : « Peut-être la plus belle, la plus profondément violente des histoires d'amour... »
Les Hauts de Hurle-Vent est un roman que j'ai lu pour la première fois à l'âge de seize ans, précisément en 1978. Pour vous préciser le contexte, ce fut une chanson qui m'attira vers ce livre, celle de la chanteuse anglaise Kate Bush, Wuthering Heights. J'entends encore sa voix envoûtante qui fredonne le bruit du vent.
Le livre m'enthousiasma, mais sans doute je le lus mal. Peut-être qu'à seize ans on ne sait pas encore bien lire certains romans et en retirer l'âpre saveur de ce qu'ils recèlent. Peut-être qu'à présent, il en est toujours tout autant, je ne saurais vous le dire...
La seconde fois fut celle-ci, maintenant, quarante-cinq ans après, c'est terrible d'imaginer tout ce temps qui s'est passé. C'est peut-être le temps nécessaire pour revenir vers les premières lectures qui nous ont marquées. Quarante-cinq ans, c'est aussi le temps de la narration de ce livre...
Mais voilà qu'au moment de poser mes premiers mots pour écrire ce billet, je suis touché par un étrange sentiment, je pense davantage à l'autrice, Emily Brontë, qu'à l'unique roman qu'elle aura écrit. Voilà deux jours que je fouille, farfouille, tel un détective à la recherche du moindre indice, en digne héritier d'un certain Bmore, tentant de comprendre le mystère de la genèse de ce roman.
Rapporter ce roman à la vie de l'autrice donne aux pages de ce livre une saveur toute particulière.
Je n'arrête pas de penser à elle, je me suis intéressé à cette jeune femme énigmatique presque recluse dans ce presbytère du Yorkshire, recluse parmi les siens, éloignée des bruits du monde, elles sont trois soeurs et un frère. L'histoire dit que cette fratrie sera comme marquée par le sceau d'une malédiction effroyable. Ils sont tout quatre morts très jeunes...
Je pense à elle, à Emily Brontë, en ce moment, plus qu'à son livre. Et je me dis, mais bon sang, d'où vient son inspiration ? Car tous les biographes se l'accordent, Emily Brontë n'a vraisemblablement pas été scolarisée, elle n'a eu aucune histoire d'amour, et peut-être d'ailleurs aucune relation sexuelle, enfin rien n'est vraiment sûr... Son seul paysage, c'étaient des landes sauvages à perte de vue où elle aimait se promener en solitaire, quand elle n'était pas sur le chemin entre le presbytère et l'église, dans l'ambiance sombre du méthodisme le plus strict imposé par le père, pasteur...
L'absence de lumière dans le roman n'est sans doute pas à aller chercher bien loin...
Or ce livre ne parle que d'amour absolu. Elle qui n'a connu que les murs froids d'un presbytère du Yorkshire nous décrit ici les affres d'une passion amoureuse, incandescente et dévastatrice de manière saisissante, faisant ainsi la démonstration qu'être écrivain c'est déployer une capacité à habiter le corps et l'esprit d'un autre, qui plus est un autre si différent, d'un autre aux antipodes de ce qu'on est. En cela, Emily Brontë relève d'une créativité prodigieuse et incarne en même temps à mes yeux l'idée d'une énigme que je trouve totalement excitante.
Que savait-elle des tourments de l'existence ? Qu'en connaissait-elle pour les poser sur sa palette et venir peindre une tragédie battue par les vents du paysage et la folie humaine ?
Mais je digresse déjà, revenons au livre puisque c'est de lui que je veux vous parler. Je vous résume en quelques mots le sujet.
Les Hauts de Hurle-Vent, c'est un lieu où va se dérouler une histoire d'amour et de vengeance absolument inouïe.
C'est tout d'abord une demeure posée sur la lande, battue par les vents du nord.
Le maître des lieux, Mr Earnshaw, y élève seul ses deux enfants, Hindley le fils et Catherine la fille. Un soir, il ramène de Liverpool un enfant de six ans, un enfant trouvé et décide de l'élever comme son fils. Il le baptise Heathcliff. Hindley dès lors le méprise, le jalouse, tandis que l'enfant recueilli devient vite l'alter ego de Catherine, ce sont comme deux âmes qui se reconnaissent. À la mort du patriarche, la fureur d'Hindley réduit à l'état de domestique se déchaîne contre Heathcliff. Catherine quant à elle se résout à épouser un voisin, mais elle n'en reste pas moins liée à son amour d'enfance. Heathcliff disparaît. Et lorsqu'il revient des années plus tard, c'est pour devenir le maître des lieux, ceux de Hurle-Vent. Jusqu'au crépuscule de sa vie, Heathcliff sera hanté par le souvenir de son amour perdu, dont il guettera chaque nuit l'âme errante sur la lande.
Voilà pour l'histoire.
Ce qui est beau et sublime ici c'est le récit d'une passion qui ne s'éteint pas avec la mort, ce qui en fait sa force, c'est la folie dévastatrice d'une implacable vengeance, celle de Heathcliff, qui va s'abattre à l'encontre des siens, des générations qui le suivent, elle est si forte qu'on pourrait la voir tendue contre l'humanité tout entière.
C'est une histoire d'amour incandescente, éblouissante, tumultueuse, tempétueuse comme ce paysage hostile balayé par les vents.
C'est une histoire d'amour impossible.
C'est une vengeance absolue. La haine de Heathcliff est à la hauteur de son amour pour Catherine.
Nous sommes à la lisière de la folie.
Bon, je vous vois venir, vous allez me dire que le romantisme absolu que j'ai connu à l'âge de seize ans ne m'a toujours pas quitté... En cela, vous n'aurez peut-être pas tort, mais Les Hauts de Hurle-Vent dépasse de très loin les images d'Épinal d'un romantisme sentimental un peu fleur bleue.
Les scènes de domination et de haine qui habitent ce roman n'en font pas une oeuvre s'adressant aux âmes délicates.
Je trouve ce livre furieusement romantique, d'un romantisme noir, des ténèbres, du mal, un romantisme gothique, avec l'affleurement du fantastique.
Mais la forme narrative est également étonnante. Construit à partir d'une double mise en abyme dont Emily Brontë maîtrise avec efficacité la technique, de sorte que l'histoire véritable ne commence pas aux premières pages du livre, le récit se déploie sur plusieurs générations. Sa construction est un édifice à contresens des schémas narratifs classiques qui peut perdre en chemin le lecteur mal aguerri aux récits enchâssés comme des jeux de tiroirs ou des jeux de miroirs invitant l'art du contrepoint. Sa forme remarquable est à l'image de la violence qui s'y déchaîne.
La force de ce roman, ce sont ses multiples interprétations, au-delà de la simple histoire qui nous est racontée ici.
C'est l'histoire d'un amour contrarié par les circonstances, par le déterminisme social, auquel peut-être l'autrice finit par céder, constatant qu'il est difficile d'échapper à sa classe d'origine, de pouvoir imaginer une relation d'amour fondée sur une mésalliance. Mais auparavant elle aura lancé avec brio une véritable charge contre la sacrosainte famille. Elle s'autorise, avec une audace extraordinaire, d'écrire un livre qui raconte une histoire d'amour entre une jeune femme de la classe moyenne et un bâtard, un sans-nom, un vaurien, ce qui est une transgression terrible pour l'époque. Je comprends les moralisateurs en tous genres, les dévots, les culs-bénis qui n'ont eu de cesse d'éloigner les jeunes filles bien rangées et encore en fleurs du risque d'une telle lecture, d'autant plus qu'on peut y lire aussi une histoire d'amour adultérine et même incestueuse et qu'Heathcliff incarnant le mal dans toute sa splendeur est loin de la figure qu'on peut imaginer du prince charmant tant rêvé. Au-delà de la transgression, on pourrait presque y voir un geste politique.
Je poursuis mes recherches et je tombe sur cette idée émise par certains spécialistes évoquant l'hypothèse qu'Heathcliff serait peut-être un enfant naturel de Mr Earnshaw et que l'enfant n'aurait pas été trouvé par hasard dans une rue de Liverpool. Ah ! Quelle est géniale cette hypothèse ! Elle me donne envie de relire ce passage et carrément le livre...
On dit que le frère d'Emily Brontë, Branwell, aurait inspiré certains personnages du livre, notamment ceux de Hindley et de Heathcliff. Ivrogne et opiomane, ses délires l'amenaient dans des états de violences intérieures au seuil de la folie. Précepteur il eut une liaison amoureuse avec la mère d'une de ses élèves. Chassé par le mari, il en éprouva un désespoir insensé qui engendra colère et haine, appelant désespérément sa maîtresse, menaçant de tuer le mari... Emily fut le témoin de ce déchirement, la confidente auprès de laquelle le frère confessa son chagrin. Ils étaient si proches. Elle prenait soin de lui. Ces deux-là s'adoraient, se protégeaient. Brusquement, une idée insensée me traverse l'esprit à laquelle je ne peux pas croire et que j'essaie immédiatement de chasser de mes pensées...
Et puis il y a la mort. Elle finit toujours par venir. Les pages de ce roman sont traversées par la mort omniprésente, comme celle qui faucha ces quatre enfants de la famille Brontë à la fleur de l'âge, cette fratrie étrange et incroyable, Charlotte, Emily, Anne, Branwell.
Comme si Emily Brontë annonçait de manière prémonitoire une sorte de malédiction à venir.
Sans doute le mythe de ce livre croise la réalité macabre de cette famille géniale, précoce et éphémère.
Emily mourut un an après la parution de son seul roman...
Mon ressenti est-il lié aux stigmates qui meurtrissent la réputation de ce livre parce que celle-ci repose à mon sens sur beaucoup de malentendus ?
Certes, l'histoire pourrait paraître autant naïve qu'invraisemblable, on a parlé de son côté excessif, une absence absolue de réalité... Tout a été dit et son contraire, peut-être à la hauteur de la démesure de ce livre.
Les Hauts de Hurle-Vent, c'est une forêt épaisse, celle de l'âme humaine et de ses failles abyssales.
Autant reconnaître que ce roman peut résister, être une souffrance pour certains lecteurs...
Rarement un livre aura été pour moi un chemin secret pour entrer dans l'univers mystérieux d'une autrice.
Chère Emily, j'ai l'impression de m'égarer à vous chercher sans cesse sans vous trouver. Je voudrais tant connaître les secrets de votre âme. Ce soir, écrivant ce billet, je n'arrive pas à détacher mes pensées de votre personne.
Comment avez-vous pu ainsi décrire à ce point les méandres de l'âme humaine, ses tourments, ses soubresauts, les sentiments les plus exacerbés ?
Je tâche de conclure au plus vite ce billet, j'ai comme l'impression que vous le lirez, que vous serez même la première personne à le lire, puisque je vous devine encore penchée par-dessus mon épaule.
J'essaie simplement de ne pas me laisser distraire par ce bruit étrange comme quelqu'un qui gratterait à la porte et comme un visage à la fenêtre, qui s'enfuit déjà, dessiné dans le paysage de la nuit ou bien dans ses nuages, parfois il m'arrive en ce moment de les confondre, je ne sais pas pourquoi...

♫ Heathcliff, it's me, I'm Cathy
I've come home, I'm so cold ♪ ♪
♫ Let me in your window
Heathcliff, it's me, I'm Cathy ♪ ♪
♫I've come home, I'm so cold
Let me in your window ♪ ♪
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