En colère contre moi aussi. J’aurais voulu naître adulte pour ne pas souffrir de l’enfance.
- C’est l’amour qui dirige le monde, elle fait.
- La haine aussi, il ajoute.
- La haine n’est qu’une histoire d’amour qui a mal tourné, argumente-t-elle.
Je ne peux pas dire que j’ai aimé mon enfance. Je n’ai pas particulièrement apprécié cette période de la vie où l’on ne sait pas ce que l’on veut mais on le veut quand même. Où l’on se berce d’illusions et d’incertitudes. Quand je cherche des souvenirs heureux, je n’en trouve pas. Quand je cherche de l’amour, je ne le trouve pas. Il y avait certainement un peu de tout cela dans la pochette surprise. Mais je n’ai pas su le voir. J’étais juste libre de grandir. Libre d’apprendre ou de désapprendre. Libre de ne pas comprendre la vie. Les livres que je dévorais faisaient office de bouclier à mon mal-être. Je craignais les adultes. Ne les comprenais pas.
La rivière bavarde se tait. Se fait discrète. Se retient peut-être de couler pour ne pas les déranger. En tout cas pour eux, elle n’existe plus vraiment. Ils n’entendent plus ses gémissements.
J’ai toujours été un écorché vif. Dans mon enfance j’étais déjà au large dans mes pensées et à l’étroit dans mon corps en devenir.
C’est fou ce qu’il y a comme poètes sur terre, se lamente Nils. C’est fou ce qu’il y a comme êtres humains qui passent leur temps à tourner et retourner les mots dans un sens ou dans l’autre pour parler de leur mal de vivre, de l’amour ou de la folie du monde, de leur chat miteux ou de pas grand-chose. Des poètes du dimanche. Des poètes de la semaine et des poètes de la nuit...
Il reçoit ces pensées à travers son corps fiévreux. Cette femme pourrait dire tout et son contraire, qu’il serait d’accord avec elle. Il a la perception que ce n’est plus son cerveau qui s’exprime désormais.
C’est beau d’être capable de dire cela, continue-t-elle sans se démonter. Souvent les gens ne parviennent pas à exprimer les choses simples. Qu’ils soient des amis. Des proches. De peur d’être observés. D’être jugés. Mal jugés. Ils n’osent pas se parler. Se toucher.