Lieutenant Al Wheeler : Call-girl sérénade

Le Châssis Schproum Club s'annonce par un immense néon bleu clignotant qui silhouette une géante étincelante et d'environ deux mètres cinquante de haut, dont les mensurations correspondent aux critères les plus sévères. Au-dessous, au cas où les esseulés nourriraient encore quelques doutes, une enseigne lumineuse brille par intermittences et proclame sans ambages: "Des femmes, Des femmes, Des femmes !
L'état dépressif dans le quel je me débats atteint un tel stade que j'en arrive à me demander si les ultimes contributions que l'homme occidental a apportées à la civilisation ne se limitent pas au strip-tease et au beurre de cacahuète.

Que désirez-vous boire, monsieur Wheeler ? s'enquiert l'ex-videur.
- Du scotch sur des cailloux avec un petit peu de soda, j'explique. Apportez-en trois.
- Vous attendez- des amis ?
- Non ... des spasmes stomacaux.

Savez-vous qu'une fille peut mener une vie infiniment plus aisée en usant de son corps plutôt que de son esprit, lieutenant ?

- Quand il n'est pas vénal, l'amour appelle le dithyrambe. C'est une sorte d'adrénaline qui fit chanter le ménestrel et délirer le poète. (Devant le néant de mon expression, elle sourit et se frotte doucement la joue contre son épaule.) Mais combien de superlatifs sont appliqués à l'amour quand on l'offre assorti d'une étiquette qui en fixe le tarif ?

[...] je lui accorde un regard plus attentif et je n'ai pas l'impression de perdre mon temps. Elle doit tout juste avoir passé le cap de vingt ans ; elle n'est pas exactement jolie, mais il s'en faudrait d'un rien pour qu'elle soit belle. Un chandail d'orlon moule les débordements belliqueux de sa poitrine avec une minutie dans le détail digne d'un sculpteur consciencieux. Elle porte un blue-jean délavé, suffisamment rétréci pour devenir intéressant tant il adhère à ses hanches en forme de sablier et aux harmonieuses courbes de ses cuisses. Elle doit abriter un complexe de narcissisme en plein épanouissement, si j'en juge par la façon qu'elle a de garder le contact avec son propre corps. En ce moment, par exemple, elle passe doucement une main dans sa longue chevelure ; l'autre, pour ne pas être en reste, s'appesantit sur le galbe de sa hanche et glisse amoureusement le long de sa cuisse.

La forte odeur du chèvrefeuille me paraîtrait tout à fait romantique si elle ne déclenchait pas de vives protestations de la part de mes sinus.