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Critique de coincescheznous


Pascal Bruckner est l'une des incarnations de ces philosophes médiatiques nés sur les ruines de mai 68. A l'instar de Bernard-Henri Lévy ou André Glucksmann, il tient des tribunes dans les journaux, publie de multiples essais et plus largement participe activement au débat d'idées dans notre pays. Il acquiert la notoriété au milieu des années 70 avec le nouveau désordre amoureux – rédigé avec son ami Alain Finkielkraut. Ils y dénoncent notamment la recherche éperdue du plaisir née de la révolution sexuelle et la tyrannie qu'elle engendre. Depuis, l'évolution des rapports amoureux fait partie de ses thèmes de prédilection. Il s'y illustre non seulement dans des essais mais aussi à travers des oeuvres romanesques comme cette Lune de Fiel, son second roman, paru en 1981, qui fit scandale à sa sortie en raison de quelques scènes érotiques très osées.
Un jeune couple d'enseignants fraîchement marié - Didier et Béatrice - larguent les amarres pour un ailleurs fantasmé en direction de l'Inde. Ils rencontrent sur le paquebot qui doit les mener à destination un couple étrange composé d'un homme usé et repoussant en fauteuil roulant, Franz, et d'une jeune femme extrêmement sensuelle et provocante, Rebecca. Didier va très vite être fasciné par ce couple mal assorti et détonnant. Bon gré mal gré, au fil de la traversée, il va accepter de suivre chaque soir Franz dans sa cabine pour que celui-ci lui raconte à la manière d'un conte des Mille et une Nuits la fascinante, exemplaire et terrifiante histoire de son couple. Ce récit va bouleverser irrémédiablement la vie de Didier.
Lune de fiel est un conte cruel et jusqu'au-boutiste sur l'usure du couple et la quête impossible de l'éternel désir. Il n'est pas étonnant que ce roman ait été écrit par un philosophe car tout se passe comme si Bruckner voulait jouer avec le concept ‘'couple'' en le poussant jusqu'à ses extrêmes limites et en lui faisant subir les pires outrages pour tester sa résistance.
Le roman débute par un somptueux coup de foudre. Franz découvre Rebecca et Rebecca découvre Franz. C'est une révélation pour l'un et l'autre. Mais la passion est par essence éphémère et là où la grande majorité d'entre nous accepte son lent effacement pour qu'autre chose s'installe de plus profond, de moins animal et instantané, eux le rejettent. le couple installé, sorti des affres du désir est un non-sens et une petite mort pour Franz et Rebecca.
« Je voyais autour de moi les individus s'abimer dans la médiocrité, vieillir en se résignant, abandonner un à un les élans de leur jeunesse pour les marais du fonctionnariat conjugal. Je voyais des hommes audacieux, des femmes libres que la vie à deux avait démobilisés, affadis, dont la cohabitation avait émoussé l'acuité. Je haïssais le mimétisme des concubins, leur docilité à adopter les défauts du conjoint, leur complicité gluante et jusqu'à leur trahison qui les unit encore. »
Vanité ? Romantisme ? Cynisme ? A vous décider. Quoi qu'il en soit, afin de combattre la métamorphose de leur idylle, les deux tourtereaux décident de voguer vers des horizons à ne pas mettre sous tous les yeux. La morale et la décence n'y ont plus leur place. le grand amour devient ondiniste et scatologique. Puis la cruauté et l'humiliation entrent dans le jeu… Nous suivons, fascinés et écoeurés, ce couple en quête de vertiges de plus en plus corrosifs et nous les voyons se détruire l'un l'autre pour conserver ce « nous » rêvé plus vivant que celui des autres.
Il n'y aura qu'une issue fatale à cette course perdue d'avance. Puisque rien n'arrive à contenter la soif de passions humaines, que le désir s'émousse inexorablement, mais qu'un lien indéfectible est né, Franz et Rebecca n'ont plus d'autres choix que de se dévorer l'un l'autre dans un terrible jeu d'amour et de mort.
Construit sous la forme du récit initiatique d'un jeune candide sur la réalité du grand amour et son irrémédiable retour de bâton, le livre de Bruckner offre une partition teintée de romantisme noir et de cynisme assez fascinante. L'auteur propose des pages d'un lyrisme épatant, notamment dans les moments les plus extrêmes de la passion des protagonistes. Un sacré tour de force que de traduire l'amour absolu dans des séances de défécation…
Le récit, hitchcockien en diable, tient le lecteur en haleine de bout en bout et réserve quelques excellents retournements de situation et une chute implacable. Les personnages de Franz et de Rebecca ont la puissance trouble de figures iconiques. Bref, tous les ingrédients sont là pour faire de cette Lune de fiel un superbe moment de lecture pour celles et ceux qui ont le coeur bien accroché et sont prêts à regarder l'amour sous un prisme inédit, aussi passionné que destructeur.

Tom la Patate

Lien : http://coincescheznous.unblo..
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