Le couloir à vents décourageait aussi les trekkeurs et couchait depuis toujours des générations de chênes verts. L’hiver, personne ne traînait dans le coin, les rafales pouvaient vous précipiter dans les ravins. L’épicier de Mazamet aimait bien raconter l’histoire des deux pauvres gamines, des cyclistes parties sur les contreforts de la montagne, et qu’on n’avait jamais revues… Les recherches s’étaient heurtées à un mystère.
Encore une fois, son regard me troubla. J’y lus une véritable menace. Je fus interloqué. Mais Delphine se reprit et ramassa ses affaires, tête baissée. Le soleil était haut, la lumière brûlante, le jardin d’une beauté faite pour l’amour. Ainsi, l’horreur et le paradoxe étaient parfaits. Je la chassai en la poussant vers la véranda. Nous marchâmes en silence. La piscine était immobile et bleue, l’allée, bordée de lourdes pierres granitiques, chaude et douce sous la plante de mes pieds. Tout respirait la vie. Mais je ne m’aventurai pas sur ce terrain, je restai sur mes gardes. Maintenant, Delphine me suivait en montrant combien elle acceptait de m’obéir. Je me détestais d’agir ainsi : pas vraiment avec les gens, continuellement aux aguets prêt à esquiver.
A 9 heures la température taquinait déjà les 28 degrés et, affalé dans un transat au bord de la piscine, je me réveillai avec l’esprit clair et une envie de vider une bouteille entière d’eau bien fraîche. Une rumeur vibrait dans l’air, quelque part vers le village.
En prison, j’avais développé une inaptitude à dormir plus de quelques heures par nuit. Ça ne me posait pas de problème, je m’y étais habitué, et dès que je me réveillais, je restais immobile quelques minutes, les sens aux aguets.
[...] Comment avais-je pu me fourrer dans cette histoire ? Qu’est-ce qui chez moi m’entraînait toujours vers les ennuis ?
[...] Je me retournai de mon côté du lit pour m’asseoir au bord.
— Rentre chez toi.
— Je t’en prie. On ne peut rien y faire, tu m’entends.
[...] Je n’en croyais pas mes yeux. Elle n’était pas plus belle que d’autres femmes, mais elle dégageait un érotisme forcené, une espèce de pouvoir d’attraction hors normes. Ça tenait du prodige, de l’envoûtement. Je baissai la tête.
[...] Dans le réfrigérateur de quoi subvenir à mes besoins pour une semaine : anisette, sirop d’orgeat et des glaçons.
[...] Se demander à chaque instant qui marchait dans son dos n’avait rien de reposant.
- N'oubliez pas, vous travaillez pour nous, pour la justice. On vous a laissé votre pactole, nous sommes pleins de mansuétude. Quelque part, si on y réfléchit bien, on vous paie ces vacances.
Le soleil me brûlait l'avant-bras et la joue gauches, me desséchait en mode futur feu de forêt et je rêvais de la piscine, celle qui m'attendait dans mon refuge de Caunes-Minervois. Je pouvais déjà entendre les glaçons claquer dans mon verre de mauresque, la vraie, qui comme chacun sait, se boit avec de l'anisette locale et non noyée par une vulgaire boisson industrielle.