C'est difficile de voir ce qui est bon, ce qui est juste, quand on est en plein dedans.
On devait vivre avec les choix qu’on faisait. On devait vivre avec ses erreurs
L'argent affluait. Les riches s'enrichissaient encore plus, tandis que les autres, comme lui, n'allait nulle part.
En deux minutes, il lui avait déroulé tout son pedigree universitaire, incluant un prestigieux prix scientifique portant le nom d’un millionnaire excentrique qui collectionnait les paysages de l’école de l’Hudson. Vraiment ? dit-elle, s’ennuyant déjà. Elle avait croisé des gens comme lui toute sa vie. Le genre de type sorti indemne de l’adolescence, sans trace de cicatrice visible, sans histoire apparente.
Chaque maison racontait une histoire. Mary avait appris à connaître les gens en observant leur façon de vivre. On percevait leur nature dans des lits défaits, des cuisines en désordre. Leurs faiblesses, dans des caves sombres où s'entassaient chauffe-eau rouillés et réservoirs de chasse d'eau, chaudières en panne, cuvettes de toilettes noircies et éviers crasseux. On voyait leur désespoir dans les arrière-cour encombrées de carcasses de voitures, attendant d'être embarquées à la casse. Ce qu'ils conservaient en disait long sur eux, les objets qu'ils exhibaient sur leurs étagères. On savait ce qui avait de l'importance ou pas.
On ne peut pas assumer les erreurs des autres, même si on le veut, et quand bien même on penserait le devoir.
- Vous êtes heureuse ?
- Je ne sais pas, répondit-elle. C'est quoi, être heureux ?
Il détourna le regard, puis posa la main dans l'herbe à côté de la sienne. Ils se touchaient presque. Ce n'est pas à moi qu'il faut demander, dit-il. Le bonheur, ce n'est pas ma spécialité.
La fille lui sourit. Elle avait la beauté indécise d'une fleur du bord de route.
Les gens du coin mettaient au moins cent ans à accepter que des étrangers s'installent dans une maison ayant appartenu pendant des générations à une même famille, dont l'histoire navrante appartenait désormais à la mythologie locale.
La maison avait quelque chose d'êtrange. Une sensation de froid se dégageait de certaines pièces. Même dans la douceur de l'été, quand le monde extérieur chantait son éclatante chanson, il régnait une obscurité oppressante; on aurait dit que la maison entière, telle une cage à oiseaux, avait été recouverte d'un tissu de velours.