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Citations sur Hôtel Carthagène (4)

Je tente de déchiffrer les visages des autres personnes présentes dans la pièce. D’un côté, le personnel du bar, deux hommes et une femme. Les deux types se ressemblent énormément. Même coupe de barbe, mêmes lunettes en nickel, mêmes bretelles sur la même chemise noire, comme si c’était leur uniforme de boulot. La barmaid porte elle aussi ces bretelles ridicules par-dessus son chemisier cintré ; cependant, son visage est particulier – à la regarder, on se dit qu’elle pourrait tout aussi bien travailler dans un troquet trois rues plus loin. Cheveux noués en une tresse stricte. Traits reflétant le genre de vie de ceux qui ne veulent faire partie de rien. Elle connaît peut-être plus de jurons qu’un métallo écossais. Avec ses sourcils relevés qu’elle refuse de baisser, elle dégage une ironie, une assurance et une nonchalance hallucinantes. Elle indique clairement que cette situation ne lui plaît pas, mais qu’au fond elle se contrefiche de ce qui se passe.
J’en prends note mentalement pour plus tard.
Au cas où il faudrait savoir à un moment ou à un autre sur qui on peut compter ou pas. En général, je me fie à cent pour cent aux gens comme elle, à ceux qui ne sont pas dans la norme.
La plupart des clients qui se retrouvent pris en otage avec nous ont l’air d’être des touristes qui avaient emmené à tout hasard des vêtements plutôt chics pour passer une soirée dans un établissement de ce type ; ils ont peut-être assisté juste avant à une horrible comédie musicale. Seules quatre personnes tranchent nettement sur les autres. Parce qu’elles sont différentes, qu’elles se distinguent de la classe moyenne habillée moyennement : deux hommes sont vêtus de costumes sombres visiblement très coûteux et de chemises à la coupe étroite et au col un tout petit peu trop ouvert. Le ventre de l’un d’eux a tendance à sortir, mais son propriétaire le rentre sans arrêt. Ils sont en compagnie de deux femmes au look très étudié, avec petite robe noire et talons d’une hauteur vertigineuse. Je dirais que ces deux hommes sont là pour le business : les femmes aussi, mais leur business, ce sont ces deux hommes.
Je n’éprouve aucune sympathie particulière pour ces femmes, mais encore moins pour ces hommes. Parce que, manifestement, ils estiment que s’acheter des femmes est une bonne idée. Que c’est légitime et qu’ils le font uniquement parce qu’ils peuvent se le permettre.
Mais je suis peut-être injuste, comme souvent quand j’ai envie de mettre le feu au capitalisme. Il s’agit peut-être tout simplement de deux couples fortunés qui ont oublié que le très onéreux peut aussi être de très mauvais goût. À la réflexion, je me dis que c’est plutôt ma première interprétation qui est la bonne.
En tout cas, quelles que soient mes sympathies pour tel ou tel, tous les visages dans ce bar arborent la même expression, y compris ceux des preneurs d’otages : celle d’une voiture qui serait tombée dans l’Elbe. Nous savons que notre situation n’a rien de normal, que notre vie vient de prendre un sacré tournant et qu’après cet épisode plus rien ne sera comme avant. Il se peut que nous mourions tous cette nuit, demain matin ou dans deux jours.
Chaque visage affiche de légères variations concernant ce savoir, n’empêche qu’il nous lie.
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Henning aimait bien bavarder avec les gens. Mais c'était difficile avec ces débiles. Ils n'avaient pas assez de mots dans la tête pour mener une conversation.
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J’essaie au contraire de mettre un peu d’ordre. Dans la situation et à l’intérieur de moi.
Faller est au bout de la table et veut fêter son anniversaire.
À sa gauche sont assis Inceman, Schulle, Brückner et moi.
En face de Faller, Calabretta.
À côté, Anne Stanislawski, Klatsche et Rocco.
Vient ensuite Carla, qui pose sa main sur l’avant-bras gauche de Faller et lui demande s’il va bien.
Il hoche la tête.
Cette question et cette réponse me font réaliser en un éclair que nous ne sommes pas là pour nous, que nous n’avons aucune espèce d’importance. L’amitié, ça veut dire aussi être capable de sortir de ses cercles d’égocentrisme.
Nous sommes là pour Faller, et peu importent tous les gazons et toutes les fleurs que nous avons foulés du pied ensemble au cours des dernières années. La question de Carla est la seule qui compte : comment va le vieux bonhomme ?
Si je déchiffre correctement son visage, il rayonne de satisfaction. Malgré tout ce qu’il a vécu. Il y a d’abord eu la mort de deux femmes, des prostituées, bref, des femmes dont l’existence n’avait déjà rien de rose avant que Faller ne surgisse dans leur vie. Il a aimé la première, Minou. Elle est morte parce qu’il l’aimait, qu’il pensait que c’était simple, qu’il avait le droit d’aimer et de sauver qui bon lui semblait. Il ne connaissait même pas la seconde. Il n’avait pas eu besoin de faire sa connaissance pour avoir un rapport avec sa mort. Il avait suffi qu’il s’en prenne à la mafia albanaise. Et hop, la petite avait été assassinée. Retrouvée dans ses dessous sanglants, allongée sur un lit à côté d’un Faller groggy. Je me demande comment l’âme d’un homme peut surmonter tout cela. Bon. En fait, les dégâts sont toujours visibles, du moins pour ceux qui s’y connaissent un peu en dégâts. Puis, par ma faute, il a pris une balle dans l’épaule, qui a sans doute laissé quelques échardes dans sa mémoire. Après avoir vécu tous ces événements, il a recommencé il y a quelques années à se battre pour la justice, pour son âme, pour venger ses morts. Le voilà aujourd’hui entouré des gens qui l’aiment bien. Parfois, cette amitié ressemble même à de l’amour – je ne peux parler évidemment que pour moi et peut-être aussi pour Calabretta. La lumière du bar dépose un filtre doré sur le visage de Faller, adoucissant la profondeur des rides autour de sa bouche, son nez et ses yeux. Il nous dévisage les uns après les autres.
Le serveur vient me demander ce que je souhaite boire. Sur la table se trouvent toutes sortes d’alcools, chacun a commandé une boisson différente, ouh là là, encore un fût sans fond, est-ce que cela s’arrêtera un jour ?
Carla joue avec son verre. Je lui demande : « C’est un negroni ?
– Ça va de soi. » À l’entendre, on dirait qu’elle a inventé la formule du bonheur liquide.
J’en veux aussi.
« La même chose, s’il vous plaît. »
Klatsche me sourit d’un air, et quel air, insolent et sexy, quasiment irrésistible, mon Dieu, comme ce sourire m’a manqué.
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MON CŒUR FAIT UN DRÔLE DE BRUIT
Murs en verre, lampes rondes à lumière tamisée se balançant au plafond noir et à nos pieds, le port de Hambourg avec ses illuminations nocturnes. Ce lounge attache tellement d’importance aux apparences que je me méfierais des cocktails que je n’aurais pas mixés moi-même. Trop de beauté tape-à-l’œil, trop de trucs genre attirer-le-regard-à-tout-prix, trop de diversion. Impossible de se concentrer sur son verre d’alcool ici.
Mes collègues sont assis à une grande table au fond de la pièce.
Devant se trouve un méli-mélo d’échasses, une quantité de tables hautes et de tabourets de bar, et à côté un comptoir élégant tout en longueur. Ligne de fuite sombre avec vue spectaculaire sur la ville à chaque extrémité.
Que Faller ait décidé de fêter son anniversaire ici est une énigme : nous sommes aussi peu à notre place qu’une horde de chiens errants dans un sac en plastique. Pourquoi ne pas être accoudés au zinc poisseux du Silbersack à boire de la bière en bouteille. Ou dans une obscure pizzeria à faire du boucan. Au fait, où est le foutu jukebox ? Ah, y en a pas, bon, y a juste ces deux hommes dont la simple vue suffit à me broyer le cœur, même si je les aperçois uniquement du coin de l’œil.
Je les regarde une seconde bien en face, d’abord Klatsche puis Inceman.
Mon cœur fait un drôle de bruit.
Je dis « salut » à la cantonade, également pour détourner l’attention de ce bruit.
Tous : « Salut ? »
Oui, je sais, je suis un peu en retard.
« Désolée pour le retard, les amis.
– Pas de souci, ma fille. »
Faller s’empare de mes mains en souriant.
Il est tout beau.
Il porte un pull-over noir à col roulé – chapeau et imper sont au vestiaire comme ceux des autres collègues. Faller lâche mes mains, je les enfonce dans les poches de mon blouson aviateur bleu foncé. Moi, jamais je ne déposerais une veste ou un manteau au vestiaire. Ce serait comme d’y laisser mon armure, c’est juste pas possible, on se retrouve sans aucune security.
« Choisissez-vous une bonne place », me propose Faller.
Facile à dire.
Il n’y a plus qu’une seule chaise de libre. Entre Brückner et Calabretta, c’est une très bonne place, sauf que Klatsche est assis juste en face, donc c’est aussi très compliqué.
Je m’y installe quand même, je m’efforce de ne regarder nulle part. « Il est où, Stepanovic ? Ils ne laissent pas entrer les cowboys ici ou quoi ?
– Si c’était le cas, la moitié d’entre nous ne serait pas là », répond Faller.
Carla ajoute : « On pensait que tu le savais. » Ces sous-entendus. « Que vous viendriez ensemble. »
Je capte très bien ce que ‘elle veut dire. J’essaie de le lui faire comprendre par un sourire discret. Oui, je pensais me pointer avec lui parce que, lui et moi, ça en jette quand on se pointe ensemble quelque part, mais depuis quelques mois, c’est devenu légèrement difficile entre nous.
Lors d’un moment plein de bière, bon, d’accord, plutôt lors d’un bain de bière, je lui ai confié que je couchais régulièrement avec Inceman. Il a trouvé ça nul et pas qu’un peu.
J’ai eu l’impression que c’était vraiment un problème pour lui.
Mais je n’y peux rien. C’est comme ça : je suis plutôt une femme du genre insaisissable.
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