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Critique de Bobby_The_Rasta_Lama


"Semblable à la flamme qui suit le feu partout où il remue, partout l'esprit suit sa forme nouvelle."
(Dante, La Divine Comédie, le Purgatoire, Chant XXV)

Comment aborder un simple billet après avoir absorbé près de 700 pages flamboyantes de Jacob Burckhardt sur la Renaissance italienne ?
Si le sujet vous intéresse, vous devez tout simplement lire le livre : rien que pour découvrir quelle mauvaise farce ont joué Léon X avec le cardinal Bibbiena au secrétaire papal, quels prénoms étaient en vogue à la Renaissance, quelle nation était un synonyme de saleté pour les Italiens, quelle forme métrique convenait le mieux pour chanter les maladies vénériennes, à quoi ressemblaient les bibliothèques privées de l'époque, ou quelles choses répugnantes dissimulaient les nobles Italiennes dans leurs armoires.

J'avais bien apprécié "L'Automne du Moyen Âge" de J. Huizinga, et sachant que le concept de cette mosaïque raffinée, censée saisir la mentalité de toute une époque, était emprunté au livre de Burckhardt, j'étais très curieuse de découvrir son modèle.
L'ouvrage date de 1860, et même si les historiens modernes peuvent lui reprocher un manque d'objectivité, ce pavé reste une mine d'or pour les passionnés, et un livre-clé pour les futures recherches sur la Renaissance.
Basé uniquement sur des sources, le livre n'est pas seulement un merveilleux cabinet de curiosités qui essaie de relier le contexte social et politique à la spiritualité, l'art et la littérature. C'est aussi une agréable et amusante lecture, profonde par l'approche humaine de l'auteur et par un certain détachement accompagné par-ci, par-là d'une remarque personnelle sur la nature humaine qui fait sourire le lecteur.

J'ai presque l'impression que la fresque de Huizinga sur le Moyen Âge déclinant a été écrite comme une contrepartie de ce riche portrait de la Renaissance peint par Burckhardt, car ce dernier est persuadé que sans le contexte italien qui a formulé l'individualisme intellectuel et créatif, l'avènement de l'"uomo universale" n'aurait pas été possible.
L'être humain s'ouvre enfin à la compréhension de lui-même, à la réflexion critique et à l'ironie, en "déchirant le voile médiéval, tissu de foi et de préjugés, d'ignorance et d'illusion". Même si on sait que la frontière entre les deux époques est loin d'être aussi nette que l'auteur la présente, on peut facilement comprendre sa fascination pour l'Italie effervescente qui s'éveille à une nouvelle forme de pensée "moderne".
On redécouvre la culture antique sans pourtant la reproduire machinalement (sauf quelques divertissantes exceptions rhétoriques, poétiques et épistolaires) et on est ébloui par de grands esprits qui sortent de l'anonymat. Un véritable système de "stars" est né : la popularité de certains artistes "couronnés" frôle l'adoration, mais reflète aussi l'esprit de compétitivité générale, que ce soit dans l'art, les sciences ou les explorations maritimes.
Il ne faut pas oublier les facteurs politiques et militaires : la création des cités-états représente selon Burckhardt la fin de "l'immaturité infantile" du passé médiéval, propice tout au plus aux massacres désordonnés. Il voit des changements bénéfiques dans la nouvelle sorte de politique pragmatique et rationnelle, ce qui ne l'empêche pas de nous livrer avec délectation quelques anecdotes sur des alliances et rivalités, conspirations et trahisons. Mais aussi sur la toute nouvelle passion pour les statistiques, ou - pêle-mêle - pour les armes à feu.
Autre spécificité de la Renaissance italienne est le changement d'attitude envers la religion. L'individu avec sa foi personnelle devient sceptique envers les dogmes, ce qui lui permet de libérer son esprit et prendre des distances par rapport aux immuables autorités, sans pourtant dénigrer la foi comme telle. Vous découvrirez dans le pape Léon X un passionné de livres à l'humour ravageur, en Alexandre VI le reflet des prophéties de Savonarole, mais aussi des hommes saints, prédicateurs et anachorètes. Les noms illustres défilent, de Dante, en passant par Pétrarque, Pic, Machiavel ou Le Pogge jusqu'au très sarcastique Cellini et tant d'autres.

Après avoir préparé son esquisse générale, Burckhardt se lance avec la même charmante volubilité dans les détails : mode, hygiène, cosmographie, astronomie et alchimie, fêtes et spectacles, médecine, sujets de conversation à la mode... ou encore les brigands et les meurtriers, et finalement aussi les croyances et superstitions, augures, magie et sortilèges qui n'ont rien a envier ni à l'antiquité ni au "ténébreux" Moyen Âge.
Le "Zeitgeist" d'une époque somptueuse, mais marquée en même temps par de grandes tensions sociales et une crise religieuse est parfaitement saisi.
Je me sens malheureusement bien moins douée pour évoquer dans ce billet toute la richesse de l'ouvrage. Il ne me reste qu'à le recommander chaudement. 5/5
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