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Critique de SZRAMOWO


La controverse autour de la sortie du roman de Houllebecq, Soumission, et la relation qui en est faite par le monde des livres du vendredi 9 janvier, m'a remis en mémoire ce roman de Burgess que j'ai lu à sa sortie en France en 1980 et que je n'avais jamais ouvert depuis.
Dans le monde des livres, Emmanuel Carrère, on croit rêver !, compare, pas moins pas plus, Houellebecq à Orwell (ce dernier doit se retourner dans sa tombe, lui qui s'est battu contre les franquistes en Espagne, a failli y laisser sa vie, et écrivit plus tard Vive la Catalogne !) et Huxley prétendant que Soumission appartient à la même famille que ces deux romans qui ont marqué le siècle ! Pincez-moi SVP !
Hors donc, curieux hasard, plaisante coïncidence, heureux déterminisme, collision inattendue, réminiscences cachées et oubliées, Burgess, a construit son roman 1984-1985, en deux parties ; 1984, une analyse critique du roman d‘Orwell 1984 et de ses impacts sur notre manière de penser et de vivre l'état, la société, la contrainte, la domination, l'aliénation, l'acceptation, la révolte ; 1985, la fiction d'un futur possible qu'il projette dans l'immédiat avenir de 1984, avec en toile de fonds le délitement de la société anglaise, la montée des corporatismes, et la tentation de l'islam qui s'impose comme une alternative crédible à la crise des valeurs.
Son analyse de 1984 est connue depuis, et partagé par grand nombre de lecteurs et de critiques.
Orwell se serait simplement inspiré de l'Angleterre de l'immédiat après-guerre et le roman n'aurait fait que décrire la réalité d'un pays encore traumatisé, dans lequel la reprise en mains des moyens de production du pays suppose d'imposer une discipline que les anglais avaient oublié pendant le conflit, ou du moins avaient remplacé par une empathie permanente transcendant les groupes sociaux et les individualités.
En quelque sorte une liberté menaçante pour tout Etat organisé quel qu'il soit.
Il analyse ensuite l'influence sur Orwell du roman de E.I Zamiatine Nous autres, (paru en 1923 et chroniqué par Orwell dans le journal la tribune en 1946).
Dans ce livre, le narrateur D-503, un ingénieur plein d'avenir, décrit un monde où l'état unique, le Bienfaiteur veille, impose aux citoyens de vivre dans des maisons de verre afin de pouvoir être surveillés en permanence et où même les relations amoureuses sont codifiées (l'heure d'amour est possible à condition d'utiliser les tickets roses de rationnement), des hauts parleurs beuglent en permanence l'hymne national.
In fine D-503 assiste sans réagir à la torture de son amie I-330 et accepte de subir le traitement qui va éradiquer toutes les mauvaises pensées de son esprit.
1984 s'inspire ou s'inscrit contre toutes les théories sur la relation entre le citoyen et l'Etat développées notamment par More, Wells, Thoreau, Bakounine, Pavlov, Huxley, utopies ou expériences, toutes reviennent à vouloir définir une relation harmonieuse entre l'individu et l'Etat ou l'autorité et posent la question : peut on sacrifier la liberté au bonheur ?
Bonheur dont le contour et les conditions seraient définis et codifiés par une entité supérieure, Etat, Religion, Guilde, pour le bienfait de tous.
On sait où ce type de raisonnement peut mener. « Nous ferons votre bonheur malgré-vous ! »
La limitation des libertés aujourd'hui n'est plus imposé par une idéologie philosophique ou religieuse, mais par une idéologie sanitaire rationnelle qui entend faire notre bonheur, ou faire notre santé malgré nous.
Les interdits se multiplient à l'égard du tabac de l'alcool de la drogue, du sexe, sans que leur existence économique et leur dimension profitable pour l'Etat et les entreprises, ne soient remise en cause.
La disparition du christianisme, de son système de valeurs, qui définissait de façon simple ce qu'il fallait aimer et haïr, s'accompagne de la glorification dans les médias de valeurs autrefois considérées comme des vices et devenues des vertus, orgueil, avidité, luxure, envie et gloutonnerie.
Cette véritable schizophrénie sociale conduit à des extrémismes que certains, rebutés par l'indifférence de l'autorité à leur égard, ulcérés par les attaques de leur système de valeurs jugé rétrograde et moqué, hésitent de moins en moins à choisir, le fondamentalisme religieux, quel qu'il soit, en est un.
Sa conclusion sur 1984 est monstrueuse de lucidité :
«Mais nous avons, oui, le devoir de ne pas faire d'abstractions telles que «classe» et «race», des mots d'ordre brandis d'intolérance de terreur et de haine. A nous de nous rappeler que nous sommes tous, hélas ! à peu près du même acabit, c'est à dire assez horribles.»
La première phrase de 1985 : «C'était la semaine d'avant Noël, un lundi doux et mou, midi tapant, et les muezzins de Londres-Ouest iodlaient qu'il n'est pas d'autre Dieu qu'Allah.» montre Bev Jones, le héros, un ex-enseignant devenu poseur de noisettes concassées sur crotte de chocolat, se frayer un chemin dans une ville multiraciale, où les agences de voyage proposent des pèlerinages pour La Mecque, où des bandes de jeunes sèment la terreur, où les grèves paralysent l'activité.
Les syndicats organisés imposent leur loi, Bev veut travailler mais ne le peut pas et il refuse de se syndiquer.
Les fêtes de fin d'année s'annoncent problématiques, sa femme meurt à l'hôpital, il est seul avec sa fille de 13 ans, Bessie, complètement accro aux feuilletons TV, Sex Boy, Pif et Paf, Ric Rac et Roc, et, pour couronner le tout, il est licencié le 27 décembre.
Il rejoint une bande d'anti-état, des anciens musiciens, professeurs et autres professions dévalorisées. le CHAOS (Consortium pour hâter l'annihilation de l'organisme social) qui s'organisent en créant un nouveau magasin C&A (le Capel et l'Alpague) où ils stockent les produits de leurs larcins.
Mais Bev est un débutant enthousiaste, trop, il se fait pincer, est condamné et conduit vers un camp de rééducation où il rencontre Mavis, avec elle il parle librement, évoque Orwell, la guerre d'Espagne, l'oncle de Bev qui s'est battu aux côtés de l'écrivain, la prolétarisation de la classe moyenne, les échappatoires possibles, leur vie dans le camp des travailleurs, leur adhésion supposée ou feinte à la doctrine.
La dérive de Bev l'amène à rencontrer un islamiste en charge de la construction des mosquées dans le monde, après celle de Rome, via della conziliazone, il attaque un nouveau chantier Great Smith Street à Londres. Aux questions de Bev, il répond :
«La différence entre l'Islam et les états syndicalo-matérialistes est aussi vaste que celle entre et Dieu une canette de bière.»
Bev récupère sa fille qui conquiert les arabes présents dans le hall de l'hôtel où il a rendez-vous avec le colonel Lawrence (!) il s'avère que les islamistes recrutent des jaunes pour briser la grève sur le chantier de la mosquée, Bev est enrôlé comme journaliste.
Sa vie change, matériellement du moins. Sa fille Bessie est demandée en mariage par le Président de l'Union Pétrolière Islamique (UPI) qui a déjà quatre épouses.
Après avoir refusé la doctrine du camp, Bev cède à ses nouveaux employeurs, il déclare même lorsqu'il apprend que le bar de hôtel ne sert plus d'alcool :
-Tout bien réfléchi, non. J'ai du travail. Pour Allah et pour la Grande Bretagne libre.
Burgess a écrit cette phrase lourde des sens :
«Avec la mort du christianisme institutionnel on verra s'étendre l'Islam»
Pour en revenir à ce qui a suscité ma relecture de 1984-1985, et ma colère :
Ras-le-bol des individus, candidats lauréats, postulants au Goncourt et autres prix, récipiendaires littérateurs, ou supposés tels par d'éminents milieux autorisées, surfant sur les craintes réelles de nos sociétés, s'emparant de sujets fondamentaux et prétendant, sous couvert d'un vernis pseudo philosophique en faire une analyse pertinente et nous dire où se trouve la vérité.
D'autant plus lorsque leurs écrits révèlent des paternités cachées qui vont au delà de la simple coïncidence. le plagiat n'est pas très loin !

A ceux-la, je les renvoie à cette citation de Burgess :
«Je crois que nous avons passé l'âge de la naïveté où l'on permet à de simples romanciers de jouer les prophètes. Ce sont là des fantaisistes qui n'examinent pas au fond les tendances profondes. Les avenirs qu'ils présentent n'auraient jamais pu prendre naissance dans le présent que nous connaissons.»
Lien : http://desecrits.blog.lemond..
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