AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de JustAWord


Après un formidable Terminus, les éditions Albin Michel Imaginaire continuent d'investir dans la science-fiction avec Semiosis, premier roman de l'américaine Sue Burke, surtout connue pour avoir traduit l'immense Angélica Gorodischer (Kalpa Impérial) en langue anglaise.
Avant de devenir un roman, Semiosis était à l'origine une nouvelle (qui correspond à présent au premier chapitre du livre).
Bien décidée à prolonger l'aventure, l'américaine ajoute six autres chapitres pour obtenir ce qui ressemble davantage à un fix-up de nouvelles qu'à un véritable roman.
À mi-chemin entre le récit d'exploration planétaire et l'expérience sociale générationnelle, Semiosis vous invite sur la planète Pax pour reconstruire l'humanité.

Une planète hostile
« La guerre avait commencé bien avant notre arrivée : c'était leur mode de vie. », voilà comment s'ouvre Semiosis et comment Sue Burke nous explique les conditions de vie de ses colons humains en une seule phrase.
L'expédition humaine sur Pax représente la dernière chance de survie d'une humanité décimée par son arrogance et sa violence. Si l'on comprend rapidement que la Terre est ravagée par des guerres pour l'eau et la nourriture, le but de Sue Burke n'est pas de nous conter l'apocalypse mais bien le début d'un nouveau monde où les Pacifistes (tels que se nomment les colons) vont tenter de bâtir une société meilleure où guerre, religion et argent sont des mots inconnus.
Rapidement, Octavo, un expert en botanique, s'aperçoit que les plantes locales possèdent une intelligence remarquable.
Problème, ces plantes sont-elles amicales ou hostiles… et peut-on même les décrire en ces termes ?
Au fur et à mesure du récit, le lecteur va découvrir la faune et la flore de Pax, du fippochat à l'aigle (très différent de ceux que l'on connaît sur Terre) en passant par le bambou arc-en-ciel.
C'est ce dernier qui constitue en réalité le coeur du récit de l'américaine puisque, dès le second chapitre, les colons doivent composer avec cet être végétal à l'intelligence remarquable qui semble les prendre pour une nouvelle espèce animale à domestiquer. Pax n'est donc pas une planète tranquille, loin de là, et c'est une histoire proche du survival qui s'installe progressivement dans Semiosis.

Premier Contact
L'autre grande thématique de Semiosis, c'est évidemment l'établissement d'un contact entre la race humaine et une race extra-terrestre, à savoir le bambou arc-en-ciel ou Stevland comme il se nommera lui-même par la suite. Pendant longtemps, Sue Burke joue sur l'ambiguïté des sentiments des colons à l'égard de cet être qu'ils craignent autant qu'ils l'aiment (et qu'ils en ont besoin).
Simili-Dieu, Stevland devient un véritable personnage point-de-vue et permet de donner une autre dimension à Semiosis tout en contournant l'archétype de la vilaine menace extra-terrestre. L'écrivaine américaine préfère à cela l'évolution et l'apprentissage pour montrer au lecteur comment deux races peuvent cohabiter et s'apprivoiser. Un thème qu'elle développera encore plus largement avec l'arrivée d'une nouvelle race, celle des Verriers, et qui permettra de comprendre que malgré toutes les bonnes intentions, il existe certaines incompatibilités insurmontables, peu importe la bonne volonté déployée.

Les paradoxes de l'Utopie
Sur plusieurs générations (et environ cent ans), Sue Burke imagine l'évolution d'une nouvelle société humaine capable de s'affranchir des démons de sa Terre originelle.
Malheureusement, les hommes restent des hommes. Bien vite, les soi-disant Pacifistes révèlent que la nature humaine ne sera jamais véritablement détruite. Meurtre, viol, complot, haine, xénophobie… tous les vices humaines refont surface un par un.
Ici, Sue Burke s'interroge sur la théorie de l'inné et de l'acquis. Sa position est claire : il y a quelque chose de pourri dans notre espèce qui ne changera pas avec le changement (radical) de décor.
Au fur et à mesure de son récit, l'américaine invite donc le lecteur à réfléchir sur ses propres sentiments, ne serait-ce qu'à l'égard de Stevland et de ses positions qui, finalement, ne sont pas aussi humaines que l'on pense (et donc pas forcément aussi mauvaises à chaque fois).
C'est d'ailleurs à la fois un défaut et une qualité pour Semiosis.
Sue Burke prend le parti de faire des êtres humaines des outils pour sa narration, des outils éphémères et sacrifiables à l'inverse d'un Stevland qui devient le pivot central de l'Histoire. Ce pari casse-gueule entraîne deux conséquences pour le récit : les personnages humains ne donnent que peu (voir pas) d'empathie au lecteur et Stevland s'affirme comme le principal intérêt/moteur de cette exploration sociale. Un choix contestable mais qui sort au moins des sentiers battus.

Ambition fanée
Malgré les nombreuses qualités de Semiosis, Sue Burke déçoit à l'arrivée.
Oui, Semiosis a des allures de page-turner.
Oui, Semiosis est dépaysant au possible et franchement bien construit.
Oui, Stevland est un personnage passionnant.
Mais ce qui partait pour un roman à l'ambition dévorante qui serait capable de décrire l'évolution d'une colonie sur des centaines d'années devient une aventure étriquée qui troque son ampleur narrative en cours de route pour un récit plus conventionnel où les derniers chapitres se déroulent à la même époque.
Il semble à ce stade que Sue Burke atteigne une sorte de plafond de verre où elle n'arrive tout simplement pas à conjuguer ellipses et inventivité pour nous sortir de ce village de colons certainement très intéressant mais finalement assez limité.
Lorsque l'on referme le livre, on se rend compte que sur une planète entière, on n'a à peine parcouru quelques centaines de kilomètres. Il en va de même pour les espèces rencontrées et la xénobiologie qui stagnent pour se concentrer sur des considérations sociales et anthropologiques.
Et même là, Sue Burke n'est pas Ursula le Guin et sa Main Gauche de la Nuit.
Sans l'émotion ou la puissance de ce dernier ouvrage, Semiosis s'enferme tout seul dans un récit d'aventures qui n'a finalement pas la résonance espérée au départ.

Semiosis vous propose une aventure sur une planète lointaine à la découverte d'une faune et d'une flore intrigantes et souvent menaçantes. Si le roman semble manquer les possibilités offertes par sa structure initiale, Sue Burke parvient tout de même à construire un univers passionnant où l'on réfléchit sur l'homme et sur ce qui l'entoure. Les amateurs d'exploration et de planètes lointaines seront ravis.
Lien : https://justaword.fr/semiosi..
Commenter  J’apprécie          180



Ont apprécié cette critique (18)voir plus




{* *}