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Critique de lousalinger


Voilà un roman dont la postérité a d'abord retenu son adaptation (sortie en 1950). John Huston derrière la caméra et une Marilyn Monroe qui la croque devant, ça se justifie. le même Huston était déjà près d'accomplir ce prodige avec le Faucon Maltais(1941) mais le classique signé Dashiell Hammett et sa transposition se tirent encore la bourre 80 ans plus tard. On efface pas Dash comme ça ! Et William Riley Burnett alors ? C'est plus compliqué. Avant de crier à l'injustice, il est bon de rappeler que l'écrivain et Hollywood ont entretenu une relation des plus fertiles. le Scarface d'Howard Hawks, La Sentinelle du pacifique de John Farrow ou encore La Grande Évasion de John Sturges, tout ça c'est lui. Au total, il fut embauché sur une cinquantaine de projets, du début des années 30 jusqu'à la fin des années 60. Parfois, l'industrie du rêve vous donne exactement ce que vous en attendiez, un tremplin. L'atterrissage ne dépend plus d'elle ni de vous, mais des autres. Si on en juge d'après la réédition de Quand la ville dort ou le corpus Underworld regroupant 5 romans de Burnett, l'auteur conserve un attrait pour les spécialistes du noir à l'américaine. Pas au même titre qu'un Hammett ou Raymond Chandler mais néanmoins il semble avoir acquis une place un peu à part parmi les grands auteurs du genre. Et si on y regardait de plus près, avec son plus grand succès par exemple. Vous savez, l'ouvrage qui a été adapté en 1950...

Quand la ville dort est souvent classé parmi les "hard-boiled". le sujet allié à cette concision caractéristique ne surprendront pas les amateurs du genre. L'approche de Burnett économise les longs segments descriptifs (la ville - jamais nommée - est un composite), mais elle se positionne autrement à l'exact opposé du behaviorisme, ouvrant une brèche au sein de ce "sous-genre". Ainsi, les réflexions, états d'âme ou sentiments intériorisés sont essentiels pour donner une forme particulière à ce récit classique, plus en adéquation avec un roman noir concentré. On débute avec des bribes dessinant quelques archétypes (le brigand hargneux, le bookmaker futile, l'avocat véreux) et progressivement le créateur lézarde cette vitrine. Derrière les paroles, on distingue un double-discours. En plein milieu de la façade, une faille. D'aucuns parleraient de faiblesse, je parlerai simplement d'humanité. Dashiell Hammett n'avait pas besoin de faire de la psychologie avec ses limiers, il disséminait les indices pour stimuler son lecteur à décoder leur monde et leurs valeurs. William R. Burnett offre lui une fenêtre ouverte sur l'esprit de personnages passés depuis longtemps du "mauvais côté". Sans les juger ni les racheter. Pourtant, on s'attache. La première moitié sert à introduire le casse puis à regarder l'équipe se former or les signes d'une fin de parcours est déjà prégnante. Vanité, orgueil, mélancolie ; un mélange hautement dangereux mais ô combien galvanisant pour quiconque aime suivre des perdants magnifiques. Tout cela débouche sur une dernière partie poignante où chacun se réconcilie avec son humanité (ses failles) et accepte l'issue.

Étonnamment, l'émotion perce et donne une allure Balzacienne à l'oeuvre, modèle avoué de Burnett, auquel il a repris cet amour des métaphores. En jetant son dévolu sur ceux qu'on regardait à distance ou en biais, l'écrivain-scénariste les rapproche inexorablement d'une réalité sur laquelle personne n'a de réelle prise. "J'ai une idée assez claire des limites de l'humanité et des possibilités de la vie, qui ne sont très grandes pour personne" admettait-il à la fin de sa vie. Nulle trace de désespérance, l'illustration concise d'un regard lucide sur ce monde. Cet impitoyable flegme ne l'a cependant jamais empêché de faire passer un torrent de sensibilité. Après s'être attaqué à la figure du détective chère à Hammett, il n'est pas étonnant de retrouver le réalisateur John Huston accorder la même compassion aux gangsters de Burnett. D'un côté, la force inamovible d'un mythe sans âge, de l'autre le chant du cygne d'une espèce en bout de piste. Ce qui explique certainement l'écart de popularité entre l'un et l'autre, quand bien même les deux demeurent essentiels dans la littérature policière.
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