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Critique de colka


L'été des noyés de John Burnside pourrait faire croire en raison de son titre et de sa première de couverture que l'on va savourer, en le lisant, un de ces bons thrillers scandinaves avec une intrigue diablement bien ficelée sur fond de critique sociale. Fausse piste... même si le cadre est trompeur car l'action se situe sur l'île de de KvalØya aux confins du cercle polaire. Un lieu dépaysant où "les nuits blanches" du soleil de minuit "figent l'esprit" et provoquent "des délires extravagants"chez toutes celles et tous ceux qui, amateurs d'expériences extrêmes, veulent vivre un jour sans fin et un temps qui n'existe plus...
C'est dans ce très déroutant été polaire que vont se produire deux noyades qui resteront inexpliquées, celles de Mat et Harald Sigfrisson, deux ados solitaires, ainsi que deux disparitions celle d'un habitant de l'île Kyrre Opdahl et Martin Crosbie, un drôle de touriste qui semble se fuir...
Tous ces événements nous sont rapportés par la narratrice, Liv Rossdal, venue sur l'île avec sa mère Angelica Rossdal, une artiste-peintre qui a choisi de venir vivre en ce lieu alors que Liv n'était qu'une petite fille.
Mais le suspense n'est pas là où on l'attend, déjà parce que les allers et retours de la narratrice dans le présent - elle a vingt-huit ans - et le passé - elle avait dix huit ans - brouille constamment les cartes et nous jette dans un abîme de perplexité quant à l'interprétation des faits tragiques survenus cet été-là.
Première source de questionnement : la personnalité de la narratrice Liv qui, au fil des confidences qu'elle nous livre, pose question. A-t-on affaire à une ado qui souffre de phobie sociale et qui va basculer, au fil des événements tragiques qu'elle va vivre, dans un comportement psychotique, notamment dans les scènes on l'on peut penser qu'elle est victime d'hallucinations visuelles et auditives ? Ou bien s'agit-il d'expériences extra-sensorielles comme elle l'exprime avec à la fois beaucoup de conviction et de doute, dans ce cadre de vie où la réalité apparaît parfois comme une illusion et où le visible et l'invisible sont constamment en relation. C'est du moins ce qui est dit dans les légendes que lui a racontées le vieux Kyrre Opdahl quand elle était enfant. Et dans ce monde de l'irrationnel "où tout est à la fois magnifique et voué à la mort et en même temps étrangement rassurant" , un certain nombre de questions vont rester en suspens. Qu'est-ce que la narratrice a réellement vu et vécu cet été-là ? On ne le saura jamais. Pas plus que l'on saura ce qu'il est advenu des deux disparus. Qu'en est-il exactement de Maïa, la jeune fille, que de près ou de loin, la narratrice associe aux noyés et disparus ? Est-elle une incarnation d'une créature maléfique qui hante les légendes de l'île ? Ou bien est-elle tout simplement une jeune déboussolée avec laquelle on peut qu'établir une relation toxique ? Mystère...
Autre personnage tout aussi énigmatique que les précédents celui de la mère de Liv. Une femme qui vit dans un double enfermement, celui de l'île et celui de son atelier, un sanctuaire, auquel personne n'a accès, même pas sa fille. Curieuse relation d'ailleurs que celle qui la lie à cette dernière, faite à la fois d'une connivence forte mais aussi d'une mise à distance dont on peut penser parfois qu'elle confine à l'indifférence. Ce qui est certain c'est que cette femme vit dans une solitude existentielle qu'elle transcende dans l'art et qu'elle vit - aux dires de sa fille - un bonheur intimiste "[qui] ne peut être expliqué et quoi qu'on raconte [qui] ne peut vraiment pas se partager". Alors, la mère de Liv, un double de l'auteur ?
Une question de plus que l'on se pose à la fin de ce roman envoûtant. Ce qui en revanche est indéniable c'est la magie de l'écriture de John Burnside faite à fois de méticulosité dans le choix du lexique et d'une poésie onirique qui nous entraîne dans un monde fantasmatique où les limites et les frontières du réel se déplacent ou n'ont plus cours...
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