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Critique de Woland


Edition présentée & annotée par Daniel-Henri Vincent


ISBN : 9782715233119


Roger, comte de Bussy-Rabutin, est avant tout connu pour deux raisons : son cousinage avec l'incomparable épistolière que fut Mme de Sévigné (née Marie de Rabutin-Chantal) et son roman satirique à clefs, "Histoire Amoureuse des Gaules", qui, publié contre le gré de son auteur par une amie indiscrète, lui vaudra les foudres de Louis XIV, peu satisfait de découvrir, étalées dans ces pages frondeuses, les amours un peu trop ostensibles de la Cour. Mais Bussy est l'auteur de bien d'autres textes, parmi lesquels des "Mémoires" qui couvrent son enfance mais s'arrêtent à son exil en son domaine de Bourgogne, où il passera les dix-sept dernières années d'une existence à la fois tumultueuse et minée par l'aigreur.

Le mot est jeté : l'amertume de Bussy, y compris lorsqu'il relate sa jeunesse insouciante et ses folies de jeune homme, atteint un degré des plus sombres, sourd, poignant, dont on ne sait trop s'il précéda ou non le sentiment de paranoïa qui naît de l'ensemble du discours. Dans ses "Mémoires", le comte de Bussy-Rabutin affirme n'écrire que la vérité, celle-ci lui fût-elle peu flatteuse à son encontre. Il est vrai que, lorsqu'il évoque sans détour certains épisodes ayant pour héroïnes les maîtresses plus âgées qui l'initièrent au sexe, on ne fait pas plus gaillard - et même, n'ayons pas peur des mots, plus mufle. Mais la grande question de son intégrité repose sur les sentiments réels qui le lièrent à Louis XIV et à sa Cour.

Homme de guerre valeureux, ce qu'on ne saurait lui dénier, Bussy ambitionnait une carrière glorieuse dans les armées royales. Il s'y distingua en maintes occasions - sur ce plan, ses "Mémoires", dont Daniel-Henri Vincent a pourtant élagué pas mal de passages trop techniques, ne sauraient que ravir l'amateur - mais toujours, pour une raison ou pour une autre, se vit maintenu dans l'ombre et encore plus souvent privé de sa solde et de ses pensions. Il en tient pour principal responsable Henri de la Tour d'Auvergne, vicomte de Turenne, l'un des généraux les plus remarquables du Roi-Soleil, qui, dès leur première rencontre, se serait, selon l'intéressé, pris d'aversion pour Bussy dont il jalousait les dons militaires. Au fil des pages, Turenne devient l'obsession de Bussy, une espèce de Némésis moustachue et emperruquée qui, à force de rapports orientés et profondément injustes rendus à Louis XIV, aurait causé la perte définitive du comte aux yeux du monarque.

L'auteur, on le sent, est sincère : il ne doute pas un seul instant de l'influence néfaste de Turenne sur son destin. Mais il évoque aussi à ce sujet le prince de Condé et, de quelque façon qu'on retourne ses malheurs financiers, on découvre toujours un officier supérieur - et surtout un courtisan bien plus obséquieux et plus rusé que lui, l'innocent Bussy, toujours implacablement franc du collier - pour s'en aller conter les pires ragots au monarque à la seule fin de briser la carrière militaire du malheureux. Alors, forcément, on finit pas s'interroger : que voulez-vous, cela semble trop beau pour être vrai ... Seule alternative : si les choses se sont réellement passées ainsi, alors, forcément, le comte de Bussy-Rabutin fut hanté toute sa vie par la plus acharnée des malchances.

Ou bien ... Ou bien ... Ou bien Louis XIV, prévenu en cela par le cardinal de Mazarin, aurait vu très jeune en Bussy le prototype même de l'aristocrate qu'il devait garder en respect pour préserver la paix intérieure de son règne, à savoir le rebelle-né, insolent, se morguant sans complexe devant la couronne fermée, s'estimant pour autant d'aussi bonne race que les Bourbon, et positivement incapable de ne pas se répandre, par la grâce d'une plume cruelle et incisive, en discours et propos si moqueurs, si subversifs aussi qu'il convenait par tous les moyens de lui imposer silence.

Nous laissons au lecteur le soin de se faire son opinion, à l'issue de ces trois-cent-quarante-trois pages non dépourvues d'intérêt mais qui, nous l'avouons, se ressentent du rapprochement inévitable avec la joyeuse et méchante "Histoire Amoureuse des Gaules." A lire cependant pour l'intérêt incontestable du témoignage sur les guerres de ce temps. Et à approfondir par la lecture d'une correspondance particulièrement riche qui nous restituera peut-être le "vrai" Bussy qui, dans ses "Mémoires", se plaint de tout et de tout le monde sans guère convaincre, ce qui finit par lasser le plus accommodant. ;o)
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