Citations sur L'appel du fleuve (23)
D'autres nuits, avec ou sans cigarette,il avait pensé que cet arbre incarnait son domaine d'études, sa vie de travail, même son esprit. Après tout, le chêne était déjà là au début du XXe siècle, à produire de l'oxygène pour les Américains de l'époque. (p. 31)
Elle resterait là, dans ce pays en guerre. Il s'attarda plutôt sur le fait qu'elle était vietnamienne. Sur ce qui distinguait profondément les femmes de ce pays de celles qu'il connaissait chez lui, sur l'attrait apparemment universel qu'elles exerçaient: leurs façons, leur maintien, la sensation qu'il éprouvait dans sa poitrine, ses bras, ses reins, confronté à leur petite taille, à la douceur de leur corps, la force de leur volonté, leur élasticité.
Tellement d'hommes, pourtant, ont dû assumer beaucoup plus, tant de meurtres, tant de sang versé là-bas, si loin, quand la seule alternative était de voir couler le leur. Des hommes projetés dans ce cauchemar par leur pays, au nom de tout de qu'eux-mêmes et leurs familles, depuis des générations, avaient chéri, au nom de ce qu'on leur demandait de protéger.
(...) plus effrayé encore que si son père laissait éclater sa colère, car tout réside dans son silence, ces choses auxquelles sont confrontés les hommes. Bob a compris, devine que, derrière, se cachent la mort, le front, ceux qui tuent, se font tuer, mais ce n'est pas si simple et peut-être que, justement, c'est ce qu'on ne peut pas dire qui complique tout, ce qui doit rester secret, et l'on porte un trou noir au milieu de son corps qui avale les morts et les survivants, qui vous bouffe la vie. (p. 216)
L'amour n'est pas une exception sur cette terre. Il y a profusion, au contraire. (...) Mais il a ses limites. Elles résident dans les régions qu'il affecte-l'esprit, le corps, le coeur- ou qu'il laisse indifférentes. Avec plus ou moins d'intensité et plus ou moins longtemps. (p. 139)
Les jeunes se croient immortels. Tant que ça ? Ils pensent surtout à baiser.
Il y a seulement un siècle et demi que la science a remis en cause cette croyance que l’âme survit à la mort. Pourtant quelques exemples élémentaires confirment l’ancien paradigme. La chenille,notamment, ne dispose pas d’un appareil sensoriel qui lui permette de savoir qu’elle va se transformer en papillon. Ce qu’elle fera néanmoins.
Trois fois, au fil des ans, Jimmy a profité des libertés individuelles que Linda et lui se sont accordées. Brièvement. Il a fait preuve de discrétion sans vraiment rien cacher ; il a simplement omis d’en parler. Un honnête silence qui faisait partie de leur arrangement. Il aurait été inutile d’expliquer quoi que ce soit ; le fait qu’ils mènent séparément leurs affaires, qu’ils aient chacun leurs amis et leurs responsabilités, avait facilité les choses, surtout pendant ces vingt années à Twelve Mile.
Pour fêter les dix-huit mois de leur rencontre, ils avaient fait l’amour, ce soir-là, sur le futon. Lentement, doucement, car deux autres couples dormaient dans la pièce ; et sans arrêter de trembler dans le froid, même encore enlacés, après s’être intensément donnés l’un à l’autre.
Le givre décuple la lumière du jour et Jimmy plisse les paupières.
Il referme les yeux et pense : Jamais nous n’avons été aussi proches qu’à ce moment.
Peut-être a-t-il raison.
À jeun, il ne rechigne pas à parler. Il a du bagout et dit parfois des choses intelligentes. Il n’est pas très instruit, mais il a beaucoup lu. Il y a toujours eu quantité de livres à la maison et Senior a vigoureusement empêché ses enfants d’utiliser les expressions populaires de La Nouvelle-Orléans. Robert sait que son père rechigne à exprimer ses sentiments. Il les noie dans son verre et se replie sur lui.