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Critique de Krout


"Vous avez mis le pied gauche sur la rainure de cuivre, et de votre épaule droite vous essayez en vain de pousser un peu plus le panneau coulissant."p.9, ainsi commence ce voyage.


Le train.
Seul le train.
Pas l'avion réducteur de paysage, encore moins la voiture dans le trafic trop dense, ni même le bateau surtout en pleine mer, oui seul le train, et particulièrement sur un trajet déjà emprunté à diverses reprises mais pas la navette journalière dont le charme s'est estompé depuis longtemps un trajet s'apparentant plutôt à un pèlerinage personnel plusieurs fois entrepris, offre cet état de conscience modifié propre à doubler le voyage d'un cheminement intérieur, plus encore dans les voitures à l'ancienne avec compartiments où six à huit passagers se trouvent embarqués en cette pièce confinée comme une scène de théâtre.
Ou la lecture.


Ce vous majestatif s'est imposé dès le début de votre lecture, sans tambour ni trompette, et d'un coup, d'un seul, il -ce vous- vous embarque dans des pensées qui ne sont pas nécessairement les vôtres, il -ce vous- pose question, car enfin moi, vous peut-être aussi savez bien qu'il n'est pas vous, ce personnage s'installant dans ce direct Paris-Rome avec sa petite valise et sa grande résolution. Néanmoins déjà vous vous laissez bercer par les longues phrases de Michel Butor à cette rythmique typique des roues sur les rails et à ce balancement régulier du wagon, rien dans ce phrasé, qui n'est pas sans vous évoquer celui si poétique de Mirko Kovac pour La ville dans le miroir, cette fois-là c'était Dubrovnic qui était ensorcelante aujourd'hui c'est Rome qui vous attire, ne vous interpelle comme ce vous dont la question ne peut-être que "Qui êtes-vous ?".


Passe Braine-le-Comte. Dans le train pour Bruxelles que vous avez pris tôt le matin à Mons après avoir acheté la veille un billet-expo pour agrémenter cet examen dont vous redoutez le verdict capable de modifier singulièrement le cours de votre vie, vous lisez ce livre pour mieux entrer dans ce train en direction de Rome et déjà vous avez dépassé Dijon, cependant votre récit s'est écarté de celui de Michel Butor car votre "Cécile" est bien plus volage. Ah ces Liaisons dangereuses qui viennent affecter le cours de vos lectures comme les pensées disruptives viennent assaillir tout passager d'un parcours au long cours. Ainsi regrettez-vous cette inscription de jadis "Il est dangereux de se pencher dehors.- E pericoloso sporgesi." petite phrase italienne qui fait ressurgir une autre lecture où Erri de Lucas s'empressait d'y ajouter "Il est néanmoins nécessaire de le faire." nécessaire que votre liberté de lecteur avait immédiatement traduit en vital, plus besoin hélas de ces écriteaux dans les wagons modernes cette dangereuse liberté permettant de respirer n'étant plus qu'un lointain souvenir. Vous approchez de Bruxelles-midi, l'humeur aussi chagrine que le temps, la vue un peu brouillée par la pluie martelant les vitres comme un mauvais présage alors que vous vous étiez déjà fait une joie de cette escapade planifiée sous le soleil.


A Soignies il fait déjà noir, le livre posé sur vos genoux vous repensez à cette exposition au musée des beaux-arts ou le réalisme de Magritte s'affiche fièrement face à la fantasmagorie de Dali. Magritte dont le surréalisme est fait de la juxtaposition de pièces réalistes dans des puzzles qui ne s'assemblent pas et dont le non-assemblage vient à questionner la représentation que vous vous faisiez de la réalité. Alors que chez Butor c'est au contraire la construction complexe d'un puzzle dont toutes les pièces réalistes viennent finalement parfaitement s'assembler pour vous questionner sur cette même réalité. Mons gare terminus n'est plus très loin et durant ce retour quelque chose à changé votre "Cécile", que vous aviez imaginée plus libre, prête à d'autres aventures que l'attente passive d'un directeur commercial sur la France de machines à écrire italiennes, vous êtes prêt à l'oublier et revenir sur les rails du roman.


Vous voilà de retour à Mons qui a en commun avec Bruxelles une magnifique grand-place dont certaines façades présentent quelques similitudes, comme le Panthéon de Paris renvoie à celui de Rome, la ville éternelle aux milles visages et dont le Vatican est aux antipodes de l'antique république à l'instar du réalisme de Butor vis-à-vis de celui de Magritte et pourtant tous deux fissurent cette façade de certitudes qu'il y a peu encore vous habitait, la voilà qui se lézarde prête à tomber en ruine la page d'une jeunesse définitivement tournée, il faudra bien reconstruire car il n'y aura pas de miracle à Rome. Vous avez ressenti que la puissance d'évocation du livre était suffisante pour le finir tranquillement dans le confortable fauteuil de votre salon.


Et c'est de chez vous que vous postez cette chronique à l'image de ce livre qui raconte l'emprisonnement progressif d'un homme très ordinaire dans sa vie de famille se découvrant incapable de tenter la chance ultime de son rêve d'aventure, Rome illuminée par Cécile par trop fantasmée aura été certes approchée mais restera inaccessible à jamais, ce livre puissant est aussi l'histoire de sa propre naissance dans une chambre à Rome pour combler la faille qu'il vient d'ouvrir, complexe mais remarquable.


Rome, oui c'est une idée.
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