"Il va vous falloir du repos, commandant", annonça-t-il en rangeant son matériel. Cette simple consigne la fit éclater en sanglots.
Avec son mètre quatre-vingts, pliée en quatre sur son rameur, voilà à quoi pouvait faire penser Beryl Schaeffer : une sauterelle ratatinée. Une silhouette musclée, sèche comme un échelas, et dont chaque mouvement de va-et-vient sur l'appareil semblait défier les lois de la biomécanique.
La boîte est aujourd'hui cotée en bourse virgule avec une présence dans une dizaine de pays d'Afrique, d'Amérique latine et du Moyen-Orient, poursuivit Valérie avant d'illustrer son propos par des précisions sur les derniers chiffres d'affaires et résultats de l'entreprise.
Beryl remonta brusquement ses bras devant son visage pour atténuer l'effet d'aveuglement. Dans l'obscurité, les phares qui venaient de s'allumer à quelques mètres d'elle ressemblaient à deux puissants yeux jaunes. Le rugissement tonitruant qui suivit fit trembler chaque parcelle de son corps.
Mue par l'instinct de survie, elle fit un bond sur sa gauche alors que s'abattait au même moment un imposant godet en métal à l'endroit exact où elle se trouvait une seconde avant. Une grimace lui déforma le visage au contact du sol rocheux.
Elle se releva et courut machinalement vers sa voiture tandis que jaillissait dans son dos une tractopelle aux dimensions impressionnantes. Le monstre de fer avait surgi telle une murène de ses rochers, déterminé à l'écraser.
Arrivée enfin à hauteur de son véhicule, elle se jeta derrière le volant, faisant voler dans le même temps son pistolet sur le siège passager. Elle pressa alors sur le bouton de démarrage...
Mais rien.
Non, pas ça, implora-t-elle, les yeux écarquillés, pas maintenant !
Face à elle, l'engin se rapprochait ; il ne lui restait plus qu'une poignée de secondes avant de se faire pulvériser.
Bonjour... Je voudrais parler au commandant Schaeffer, s'il vous plait.
- Elle est absente. Je peux prendre un message ?
- ...
- Monsieur, est-ce que vous voulez que je lui laisse un message ?
- Je... Dites-lui simplement que Pavel Novak a appelé. Je suis un ami de son père. Qu'elle me rappelle dès que possible, c'est très important. [...]
- De quoi s'agit-il ?
- Je... J'ai des informations capitales à lui transmettre.
- Quel genre d'informations ?
- ...
- Quel genre d'informations, monsieur ?
- Le... le genre d'informations que j'aurais préféré n'avoir jamais eu en ma possession.
La jeune femme enfila précipitamment son haut de pyjama, comme si la dissimulation de ses brulures pouvait mettre un terme à ses pensées. Son enfance compliquée avec sa mère à San Francisco n’était pas une période de sa vie dont elle voulait se souvenir. Les blessures n’étaient pas seulement imprimées sur son corps.
L’ADN de la brigade criminelle, ce sont les enquêtes ; pas les heures à jouer aux cartes en attendant que tombe un cadavre.
“Le pétrole naît de la transformation, dans les profondeurs de la Terre, de la matière organique issue des restes de plantes ou d'animaux morts. Cette transformation s'effectue sur des dizaines de millions d'années, et voit à terme se créer une substance - du pétrole ou du gaz, selon la profondeur - qui va migrer naturellement vers la surface.” !
“Au fait, pourquoi est-ce que vous nous aidez ?”
L'homme remonta la fermeture Éclair de son blouson et la considéra avec gravité.
“Pour la même raison pour laquelle j'ai quitté la police : l'envie d'être du bon côté”, lâcha-t-il.
Rien dans cette réponse ne sembla à Beryl de bon augure pour la suite.
L'appel à l'aide était venu d'un ami de son père, voilà pourquoi elle se sentait obligée d'y répondre. Y renoncer serait revenu à trahir l'homme qu'elle admirait le plus sur cette planète.