Citations sur Paul et le chat (13)
"Et la Guerre est comme ce Printemps , cette herbe qui sort partout. Une femme, une trop belle femme, tournoyant sur elle - même, ivre d'air et de mouvement.
Dans sa robe de velours, elle tourbillonne, tournoie, gorge en arrière , bras écartés , tête renversée, deux lèvres rouges, ouvertes sur ses dents blanches- ces dents que Paul ne possède pas encore.
La violence est une reine dans un manteau de velours émeraude.Bien trop belle. Qui aura toujours raison.
Les nuages dessinaient une masse noire contre le rouge du couchant- si fort qu'il semblait suspendu en l'air comme un cri.
Puis le disque rouge disparut.
Comme si toutes les Guerres étaient combattues"
Arrêter les images n’aurait jamais arrêté la Guerre. Car tout était Guerre. Le mois de mars avec les bourgeons visqueux qui éclataient de toutes parts. Elever un enfant, le baigner, l’habiller, travailler pour le nourrir en était encore une autre, de Guerre.
Je me rends compte que plus je décris les progrès de Paul, plus je me rapproche du cadavre. Comme les sépales a présent vides de leurs pétales, les bourgeons de leurs feuilles. La maternité à ceci de lucide et déroutant qu'elle permet de constater - rose sur rose - la brièveté de son existence.
A cet endroit du texte, je me rends compte que j’emploie l’article défini « elle » pour désigner le chat. Je l’ai corrigé puis rétabli. Le "il" ne sonne pas. Le Chat était devenu féminin, non par une logique de reproduction, mais en raison de sa division, de son hésitation.
Dissociée, divisée, elle relevait de la Mère : partagée entre soi et d’autres êtres.
« -Paul ! dis-je. Sa figure se fend en abricot, il remue dix doigts, entraînant autant de fossettes. Puis il retourne à sa principale occupation : retirer ses chaussettes ou arracher des brins d'herbe. Le Chat que j'appelle avec toujours la même intonation de la voix, tourne aussi la tête vers moi d'un air un peu distrait, orientant les oreilles dans ma direction. Il lève un début de queue pour montrer que, oui, il m’a repérée, puis fixe passionnément, parmi les hautes herbes, un éphémère, un papillon jaune – enfin, quelque chose que je ne vois pas. »
La mort n'est rien d'autre que le passage à l’horizontale ; rien d’autre que des choses horizontales, toujours horizontales. Moi, je voudrais n’être ni verticale, ni horizontale, j’aimerais juste être oblique.
Et je me dis que les mots servent peut-être à gagner du temps, à raccourcir les choses. Un explication comme une autre.
Oh, ces coups accordés durant l'attente! Enceinte, on rêve, grosse, amollie; on attend rien de précis, alanguie. Soudain, un coup... Un seul suffit. Un choc à l'intérieur de soi. Précis, sec. Brutal comme un meurtre, doux comme un battement d'aile de paillon, " je suis là, je suis là!" dit le coup de pied. Une partie de soi, qui n'est pas à soi, dans le bas ventre. A peu près comme un sexe d'homme.
Encore, fis-je de drôles de rêves liquides. Je rôdais autour de Paul. De ce que j’avais vécu quand il était venu au monde : sous le projecteur bombé de la salle d’opération, ses yeux clignotaient, telles les flammes de petites bougies bleues. La lumière parut lui faire mal mais il réussit à ouvrir faiblement les paupières rougies. Ses yeux chancelants cherchèrent les miens. L'espace d'une seconde, son regard flou croisa le mien. L’espace d’une seconde, deux continents se touchèrent sous l’eau. Je tressaillis sous le choc. Puis ce fut fini ; l’eau avait brouillé toute l’histoire.
Voir, je ne sais faire que cela : Paul, neuf mois. Son premier Printemps. Des yeux, je suis l'arc énorme de sa joue rose que surmonte celui plus petit de la cornée, puis au-dessus, un cil noir incurvé en aile d'oiseau. Et ses joues… si tendues qu'elles en allument des reflets. Entre la mer et le ciel, les soldats avancent lentement, leurs costumes gris volent sur le sable comme des poissons perdus.