Je n’avais pas besoin que l’on m’aime, je ne recherchais pas les congratulations, hypocrites ou sincères d’ailleurs. Il venait de se passer un événement dans ma vie au cours duquel j’avais assisté à la fracture de mon ego. C’est une sensation que je ne souhaite à personne, pas même à mon pire ennemi. Désormais, je voulais me prouver que j’étais capable de tout quitter pour partir à la recherche de ce que j’avais perdu : mon bonheur.
Sais-tu que, chaque jour, des couples divorcent. (Il me regarda, interloqué.) Des hommes, des femmes, rompent avec l’opulence de notre société. A la suite d’une overdose, ils se retirent dans les monastères - ça marche le tourisme religieux - ou bien se mettent hors circuit de la société de consommation. Je veux éprouver la sensation de manquer de tout. Mon cas n’est pas unique; il est même banal. Pour te rendre compte de l’ampleur du phénomène, étudie les sorties littéraires. Lorsque les romanciers scénarisent la réalité, tu peux te dire que tu assistes à un bouleversement de la société.
...idée idiote que celle de relater ce que l’on voit, car il s’ensuit que l’on écrit en fait sur soi ; idée doublement idiote car écrire sur soi ne fait pas se connaître mais se chercher, je courais le risque de ne jamais me trouver; mais idée rassurante, car griffonner chaque soir le ressenti de la journée participait à la phase de reconstruction de ma personnalité, telles les pièces d’un puzzle que je m’efforcerai d’assembler, jeu de patience pour trouver l’emplacement idoine.
La vérité est que je n’ai pas choisi cette… activité, c’est elle qui m’a élu pour la servir. Le fait est que le curieux coup du sort qui a chamboulé ma vie m’a permis d’élucider des affaires que le bon sens qualifie de crimes impossibles. Des crimes qui seraient restés inexpliqués, si je n’en avais été le témoin providentiel.
On n’enseigne pas assez Socrate à l’école, le seul philosophe qui a professé la recherche de la porte qui conduit au royaume intérieur. Le problème n’est pas de frapper à l’huis, mais de savoir l’ouvrir.