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Critique de berni_29


Après vous avoir parlé de la vie secrète des arbres, quoi de plus normal que de vous inviter à entrer dans le monde étrange du Baron Perché, d'Italo Calvino. Ce livre est un enchantement à plus d'un titre. Il se lit de plusieurs manières et on peut le lire à différentes périodes de sa vie, l'effet ne sera jamais le même. Il vous ramènera à des choses de votre propre vie. Ah, me direz-vous, c'est comme pour le Petit Prince… ? Peut-être, sauf que pour le Petit Prince, je trouve qu'il y a quelque chose qui ne passe pas, quelque chose qui sonne faux, dans ces paroles certes très belles et pleines de belles intentions mais incapables à mon sens de nous ramener à ce qui est vrai. Or, dans le Baron Perché, tout est vrai à tel point que lorsque vous fermez les yeux après en avoir terminé la lecture, il n'est pas impossible que la branche un peu espiègle d'un arbre de votre jardin vienne frapper à votre fenêtre pour vous inviter au voyage.
Le Baron Perché est l'histoire d'un homme qui se révolte, Côme, baron du Rondeau, qui dit non tout d'abord, puis oui ensuite à une autre vie qu'il invente. C'est le principe de l'homme révolté, cher à Albert Camus. Et cette vie qu'il invente, elle est infinie, c'est cela la puissance du roman. On suit ce personnage au travers des pages qui défilent, un peu comme si nous étions une caméra en travelling dans le tournage d'un film. Ça déroule et ça file… On se dit qu'à un moment, il va bien poser pied à terre. Non, jamais. Poser pied à terre, se serait renoncer. Ce livre est cruel car il nous dit ce que nous n'avons peut-être jamais eu le courage de faire : ouvrir la fenêtre et grimper sur la première branche qui tendait les bras, fuir vers la canopée… Mais il est consolatoire en même temps parce qu'il nous dit que c'est encore possible, toujours possible.
Ce que j'aime dans le Baron Perché, ce sont deux choses avant tout : tout d'abord lorsqu'il part et ensuite lorsque jamais il ne remet les pieds sur le plancher des vaches. Voilà ! tout ce roman se tient à cela. Son envol est magnifique, il est un acte de liberté. Nous avons tous eu envie à un moment donné de notre vie de faire la même chose que Côme, surtout à l'adolescence puisque Côme n'a que douze ans lorsqu'il s'évade de sa prison familiale pour se faire la belle dans le feuillage voisin. Il n'en redescendra jamais.
Le départ est donc un acte jubilatoire. On trépigne des pieds, on voudrait être là, à table, dans cet espace familial confiné et coincé lorsque notre personnage fugitif fait un bras d'honneur et tire sa révérence, un peu comme Tarzan.
Mais ce qui est génial c'est aussi la suite. A aucun moment notre Baron Perché ne posera pied à terre. C'est une prouesse littéraire, toute l'histoire de ce baron, et elle est inventive, nous est déployée sous nos yeux, sous nos mains, dans cette vertigineuse fuite à jamais inassouvie d'un homme enfin libre et heureux dans les arbres. Même l'amour y est présent puisque toute vie est possible dans les ramures. Alors, que faut-il retenir de cette épopée sylvestre ? Un conte écologique ? une fable philosophique ? Une belle et originale histoire, tout simplement ? le Baron Perché nous invite à ne jamais poser pied à terre. Encore faut-il s'élever dans les airs, prendre de la distance, prendre de la hauteur. Il nous décrit des êtres humains collés au sol, balourds, incapables, eux, de filer de branche en branche et prendre la tangente. Il nous décrit l'humanité dans son poids, dans sa lourdeur. Nous sommes de cela. le Baron Perché nous invite à l'apesanteur, prendre cette distance avec le réel, le quotidien. Partir. Et nous sommes de ce rêve…
Le Baron Perché est une désobéissance à l'ordre établi, comme on l'aime. Il nous ramène à cette part d'enfance qui brûle encore au fond de nous, qui tend des doigts fébriles chaque fois que nous nous approchons d'une forêt. Mais soyons lucide, dans cette histoire, l'arbre est un prétexte. Mille choses au monde peuvent nous rendre un jour si haut perché…
Et finalement, lorsque nous nous évadons dans nos lectures, ne sommes-nous pas devenus quelque chose un peu du Baron Perché ? Impossible de nous faire poser pied à terre…
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