Il m'était impossible d'associer le mot « noir » aux paysages d'Algérie, je n'adhérais pas, la couleur noire n'existe pas dans ce pays. Pour moi, les terres autour d'Alger et d'ailleurs irradiaient.
Zéralda, Tipasa, le domaine d'Aïn Allah ceinturé de barbelés, Chréa, La Pérouse, Oran, Bougie, tous ces lieux ne pouvaient être sombres, même sous un soleil qui brûlait la rétine, noyait les contrastes et aveuglait d'une cécité éclatante.
Aimer c’est aussi avoir mal.
Trois jours de fête, de fraternité, de cris de joie , de youyous poussés si fort, que nous n'avions plus de voix. Un bonheur indescriptible si violent que cinquante ans plus tard il me submerge encore. Et pour les autres, ces Français que nous avions vaincus, un malheur si terrible qu'il les écrase toujours
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Les beaux endroits, ça donne de beaux souvenirs, de ceux qu’on aime retrouver. Tout est toujours question d’argent... La belle mémoire, ça s’achète aussi.
Le matin de sa noce, ma grand-mère jouait à la poupée. On la déguisa pour la fête sans qu’elle comprenne pourquoi. Le lendemain on l’emmena à Aokas chez son mari âgé de quinze ans.
Les aubes translucides, les nuits étouffantes où les parfums affolent les sens, les bonheurs simples écrasés de lumière avaient insidieusement enraciné nos pieds-noirs.
J'aimais une terre qui ne nous aimait plus et une jeune femme restée là bas sans laisser d'adresse. Je n'avais plus rien.
L'Histoire se joue de la liberté des êtres, elle se moque de leurs étreintes et de leurs espoirs.
Qui, sur le balcon du Télemly, aurait pu croire que nous nous retrouverions des décennies plus tard face à un lit d’agonie et que les blancs d’une chambre d’hôpital remplaceraient les blancs d’Alger ?
(Pierre)