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Critique de Christw


Après le très prometteur "Petit déjeuner chez Tiffany" (1958) et le captivant "De sang-froid" (1965) qui lui valut renommée et argent, la carrière littéraire de Truman Capote peut sembler s'éteindre dans l'alcool et la dépression. Ce serait faire peu de cas des résolutions que l'auteur manifeste dans sa préface de "Musique pour caméléons" (1979) et des qualités de ce recueil.

Dans les quelques pages de ce préambule nombriliste, quelquefois amer et revanchard, où il livre d'intéressantes réflexions sur ses techniques d'écrivain ["Ainsi que certains jeunes étudient le piano ou le violon quatre à cinq heures par jour, je jouais de même avec mes papiers et mes stylos"], Capote reconnaît que "De sang-froid" était d'une écriture trop dense: trois pages pour des effets qui tiendraient en un paragraphe. Il considère que trop d'écrivains, même les meilleurs, «sur-écrivent», et juge ne pas avoir donné le meilleur de lui-même: "... je laissais de côté tout ce que je savais de l'écriture, tout ce que m'avaient appris scénarios, pièces, reportages, poésie, nouvelles, contes, romans. Un écrivain devait disposer de toutes ses couleurs, toutes ses aptitudes réunies dans la même palette pour pouvoir les doser (et dans certains cas opportuns, les appliquer simultanément)...".

Il considère que le développement pratique de ces réflexions, ce qu'il appelle un "retour au jardin d'enfants", lui ont permis d'élaborer un style plus accompli où il se tient moins en retrait du récit et il a remanié ce qui devait être l'oeuvre de sa vie, "Prières exaucées" [tiré d'une citation de sainte Thérèse : «il y a plus de larmes versées sur les prières exaucées que sur celles qui ne le sont pas»], dont deux brillants chapitres nous sont parvenus, "La côte basque" et "Des monstres à l'état pur".

Puis Capote entreprend "Cercueils sur mesure", court reportage romancé sur un crime américain et compose/reprend une série de nouvelles et textes, avec une technique longuement mûrie. L'aboutissement de tout cela est le recueil "Musique pour caméléons" (1980 pour la version française), dernière publication de son vivant.

En fin de préface, cinq ans avant de s'éteindre, il s'interroge encore sur "Prières exaucées" et se considère "isolé dans sa folie obscure" qu'est la création littéraire, avec "le fouet dont l'a gratifié Dieu" que sont la volonté et le devoir d'écrire.

J'ai terminé la lecture des six premières nouvelles du livre: je les trouve somptueuses. Pas un mot à changer au récit éponyme, une atmosphère de Martinique en couleurs à profusion, un rien de préciosité; le portrait d'une veille et distinguée aristocrate qui charme les caméléons au piano est la fois admiratif et critique.

Mentionnons "Éblouissement" qui traduit l'intense souffrance destructrice des enfants de sexe ambigu, immanquablement une confession pathétique de l'auteur. On y trouve un autre portrait saisissant, cette madame Ferguson, un peu voyante et sorcière, "qui roulait de côté des yeux de pleine lune".

Enfin "Mojave" est un chef-d'oeuvre : une dernière scène montre le couple aisé en tête à tête, une vodka rouge poivrée, il neige dehors, des souvenirs dans le torride désert californien puis, troublée, langueur feinte, Sarah tire les tentures : "Fermées, les lourdes tentures de soie masquèrent le fleuve nocturne et les bateaux illuminés si ouatés de neige qu'ils avaient les contours émoussés du dessin d'une estampe japonaise représentant une nuit d'hiver". Tombent ces derniers mots glaçants "... nous trouverons bien quelqu'un" dont vous ne percevrez le poids qu'en lisant cette perle.

Lien : https://christianwery.blogsp..
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