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Critique de pompimpon


"… il y a deux cas dans lesquels on ne sacrifie pas un talisman : lorsqu'on n'a rien, et lorsqu'on a tout. À chacun son abîme."

P.B. Jones, "un bébé abandonné au balcon d'un théâtre de boulevard de Saint-Louis", a grandi dans un orphelinat tenu par des religieuses.
Il s'en enfuit adolescent, et devient masseur en attendant de rencontrer un succès qui lui échappe durablement comme écrivain.
Beau, attirant, usant de ses charmes pour vivre, plein d'esprit et mauvaise langue de toute première catégorie, il ne tarde pas à fréquenter la jet-set d'après-guerre, écrivains, acteurs, photographes, peintres, millionnaires… et en dit le plus grand mal dans ces pages.

Truman Capote a travaillé sur Prières exaucées du milieu des années 1960 à sa mort en 1984, mais seuls trois chapitres, publiés dans la revue Esquire en 1975 et 1976, semblent avoir survécu à leur auteur.
Ils constituent l'ensemble de cette édition posthume, et ne peuvent donc que laisser à imaginer ce qu'aurait été l'oeuvre ultime de Capote (ou ce qu'elle est, cachée dans un coffre-fort quelconque ou dans une boîte d'archives non encore explorée, croient les plus optimistes).

J'ai attendu longtemps pour affronter ce drôle de bricolage, trois chapitres dont on ne peut même pas dire qu'ils se suivent, ce n'est pas le cas, flingué comme au ball trap par une critique assez unanime à sa sortie en 1986 (1988 pour l'édition française).
Parce que j'aime Truman Capote le conteur, mais aussi Truman Capote le légiste autopsiant des meurtres de sang froid, et bien davantage encore l'ironie légère et fantaisiste manifestée tôt par le jeune Capote, si évidemment doué.

Le parfum de scandale est retombé, les "victimes" de Capote sont mortes depuis longtemps, lui aussi.
Que reste-t-il donc, de ce projet, "proustien" selon ses propres dires ?

À mes yeux, une esquisse de ce qui aurait pu être (qui est ?... dans le coffre-fort ou la boîte d'archives évoqués plus haut) un très grand roman, cannibale et outrancier, le "Revenge !" de celui qui s'est tu si longtemps.

Bien sûr, une esquisse c'est insuffisant, c'est frustrant, et puis cette histoire qui n'aboutira pas, forcément, ça laisse un peu sur le carreau.
Mais, mais, mais…

Mais l'écho de ce que j'aime chez Truman Capote se retrouve tout de même tout entier dans ces pages.
Elles n'auraient pu être écrites par nul autre que lui. Evidemment, il s'en donne à coeur joie, sabre au clair, il a tout vu, tout entendu, et de toute façon personne ne le croira.

Aucune extravagance ne lui échappe, aucun excès.

Ce monde qu'il décrit férocement ne lui pardonnera pas l'enthousiasme qu'il met à le démolir. Depuis des dizaines d'années, il est leur bouffon, leur confident, leur faire-valoir aussi, sûrs qu'ils sont d'être au-dessus de la mêlée.

Mais les égratigne-t-il vraiment ?
Ne les décrit-il pas plutôt sans complaisance, juste tels qu'en eux-mêmes, avec ces préoccupations délirantes et absurdes qui nous échappent totalement ?

Et en a-t-il fallu, des frustrations, des colères rentrées, des blessures intimes, de ces égratignures nonchalantes savamment distribuées pour remettre l'impétrant à "sa place" quand il semblait aller trop loin ?

En a-t-il fallu pour que s'exprime si pleinement, drôlement, crûment, ce que lui voyait, sans fard, sans filtre…

Le sale gosse sensible et doué avait vieilli, il a préféré clouer ses magnifiques papillons à son tableau de chasse, lassé de les voir voler.

À chacun son abîme, oui.
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