- LE PÈRE
T'auras jamais rien d'aussi vrai que c'que t'as quand tu travailles avec tes mains, comme quand tu viens couper pis fendre pis corder du bois avec moi. Y a rien de plus vrai que ce qui sent l'essence, la sueur pis la marde. Les livres, ils disent le contraire des fois, mais c'est juste parce qu'ls sentent rien. C'est de la propagande. C'est pour que tu commences un autre livre après. Juste pour ça. Les livres, ils se protègent entre eux autres. Plus que le vrai monde. Cest bin ça le pire.
– LE PÈRE
Dans un livre, t’apprends rien d’autre qu’un
livre. Les mots disent pas la moitié de ce que
tu peux vivre.
Autour de moi, il n'y a plus que des personnages, dorénavant et pour toujours. Et on se raconte, sans cesse, la même histoire, mais en empruntant chaque fois des mots nouveaux.
La mort de tout cela est impossible. Tant qu'est ouvert le livre. La mort n'existe pas. Je m'en retourne dans mon lit. C'est là que je resterai dorénavant. Mon coeur croche, la lumière hésitante, et ces voix, sans fin, qui racontent.
Sans fin. Tant qu'on lira.
Y a des livres comme ça qui te collent au coeur très longtemps.
Il dit que, quand on met à terre un arbre déjà mort, on ne peut jamais être certain du côté où il ira tomber. Même avec les vivants, on ne sait jamais de quel bord le coeur fendra. Même avec les vivants. On peut mourir quand le coeur fend.
− MARIANNE
Je suis morte, déjà. T’aurais pas un livre, quelque part, qui pourrait encore me faire vivre ?
Parfois, de l’ongle, elle gratte une aspérité. Elle joue de la jointure dans les tissus. Elle flirte de la paume avec les plis et le lisse de la peau. Et, si son corps est proche, c’est Alexandre qui accueille la danse minuscule, devient à la fois une scène de chair et le spectateur.
MARIANNE
La télé nous aurait tués, tous les deux, elle nous aurait mangés.
ALEXANDRE, pense
Tu disais:
MARIANNE
Ç'aurait fait de nous des monstres de solitude, des côte-à-côte, des parallèles, des dos-à-dos, comme le monde ordinaire, t'sais.
ALEXANDRE, pense
T'aurais pas voulu qu'on soit juste ça, tous les deux. Du monde ordinaire.
Chacun de tes pas était celui d'une danse imprévisible, comme si tu t'accordais avec le battement manquant de mon coeur de tout croche.
Un coeur tout croche, ça sait juste feindre la mort.